Le 6 juin 2022, le législateur québécois adoptait la Loi sur la remise des dépôts d’argent aux cotitulaires d’un compte qui sont des conjoints ou des ex-conjoints [Loi], contenue dans le Projet de loi 2, Loi portant sur la réforme du droit de la famille en matière de filiation et modifiant le Code civil en matière de droits de la personnalité et d’état civil.
Le présent texte vise à illustrer l’importance et la signification de la loi pour les successions au Québec.
Une personne qui décède laisse souvent un compte bancaire qu’elle détenait en commun avec son conjoint ou son ex-conjoint. Compte tenu de la nature d’un compte conjoint en vertu des lois du Québec, les titulaires d’un tel compte ignorent souvent qu’au décès de l’un d’eux, le compte est totalement « gelé ». Partant, l’institution financière refuse l’accès au compte tant au titulaire survivant qu’au liquidateur de la succession du défunt.
Légalement, un compte conjoint est une forme de copropriété indivise. Lors du décès du cotitulaire d’une telle propriété, un bien immobilier ou un compte bancaire, par exemple, le droit indivis du défunt n’est pas automatiquement transféré au cotitulaire survivant. Ce droit est un élément de sa succession et est donc dévolu suivant son testament ou, en l’absence de testament, suivant les règles de la dévolution légale, ou intestat.
Étonnamment, plusieurs conjoints et ex-conjoints qui détiennent un compte bancaire en commun au Québec croient à tort que lors du décès de l’un d’eux, le compte sera automatiquement transféré au survivant. Les règles québécoises diffèrent de celles qu’on observe dans les juridictions de common law, dans le reste du Canada, aux États-Unis et ailleurs. Dans ces juridictions, on trouve couramment des comptes que l’on pourrait décrire comme « propriété conjointe avec droit de survie », ce qui permet le transfert automatique au cotitulaire survivant de l’ensemble des fonds détenus dans le compte par le cotitulaire au moment de son décès.
Au Québec le gel du compte conjoint lors du décès du cotitulaire cause souvent des problèmes de liquidité, particulièrement au conjoint survivant, et même si celui-ci est le seul légataire ou héritier du défunt. Jusqu’à ce que l’institution financière obtienne toute la documentation requise pour procéder au transfert, le conjoint survivant n’a aucun accès au compte. La Loi nouvellement adoptée vise à remédier à ce problème.
Elle impose des obligations réciproques de divulgation de renseignements de même que des obligations de versement à l’institution financière et au codétenteur, dans un processus à deux étapes. La première étape consiste en une déclaration conjointe écrite, alors que la deuxième, la remise elle-même.
La déclaration conjointe écrite
- La déclaration doit informer les conjoints ou ex-conjoints, par écrit au moment où ils ouvrent un compte de dépôt à vue, qu’ils peuvent déclarer leur part respective du compte, lesquelles peuvent être des parts égales ou différentes. L’institution financière doit les informer par écrit des conséquences d’une omission de faire une telle déclaration, et de leur responsabilité d’informer l’institution de tout changement dans la proportion de ces parts.
- La déclaration est faite conjointement par écrit par les cotitulaires au moment de l’ouverture du compte ou en tout temps par la suite, et ils peuvent l’amender en tout temps de la même façon. La loi requiert un écrit, mais n’exige pas un acte notarié et ne prescrit aucun formulaire. Nous ne savons pas présentement si les institutions financières adopteront leurs propres formulaires.
- Les parts proportionnelles des cotitulaires sont indiquées dans la déclaration; en l’absence stipulation à cet effet, leur part respective est réputée correspondre à la moitié du solde du compte.
- Une copie de la déclaration est remise à l’institution financière.
Remise après le décès
Après le décès d’un des cotitulaires du compte, l’institution financière doit remettre les parts proportionnelles du compte conjoint comme suit :
- au cotitulaire survivant, la part proportionnelle qui lui est due
- au liquidateur de la succession du cotitulaire décédé, la part proportionnelle due au défunt.
La loi prévoit certaines modalités dans le processus de remise :
- l’obligation de remise est imposée à l’institution financière sans égard au fait qu’une demande écrite ait été déposée ou non par une partie ou les deux
- le solde demeurant au compte demeure une copropriété indivise.
Pour conclure, il est important de préciser que, bien que la Loi vise à faciliter considérablement l’accès au compte par un cotitulaire survivant, elle ne change pas de façon appréciable le droit de la propriété ou le droit des successions au Québec.
La Loi a une portée restreinte. Elle ne constitue pas une réforme d’envergure. Elle est restreinte aux comptes détenus en commun par des conjoints ou des ex-conjoints; elle s’applique donc clairement aux couples mariés ou en union civile, qui sont des conjoints au sens du Code civil, et ne semble pas exclure les conjoints de fait. Elle ne vise toutefois pas les autres situations où un compte bancaire peut être détenu conjointement avec un autre titulaire comme un parent ou un enfant. Enfin, elle ne s’applique qu’aux comptes de dépôt à vue, ce qui semblerait se restreindre à des comptes d’épargne ou de chèque.
Il est en outre clair que la Loi ne révolutionne pas le droit de la propriété en créant un droit similaire au « right of survivorship » tel qu’on l’entend en common law avec le « joint tenancy ». La remise n’est pas non plus une donation pour cause de mort reposant sur une dérogation à la prohibition des pactes sur succession future. La remise est une réalisation de l’accord des cotitulaires tel qu’exprimé dans la déclaration et conclu de leur vivant relativement à leur détention du compte conjoint.
Enfin la part remise au liquidateur de la succession du cotitulaire décédé fait partie de la succession du défunt et, par conséquent, peut servir à honorer les réclamations de ses créanciers lors de la liquidation de sa succession.
Avec cette la Loi, les conjoints et ex-conjoints présentement cotitulaires d’un compte en commun devraient donc faire la déclaration décrite plus haut afin de permettre au survivant d’avoir plus facilement accès à sa part du compte après le décès de son conjoint.