Bulletins

954

La protection des biens affectés à l’utilité publique qui appartiennent aux municipalités

Il est connu que les municipalités bénéficient de la dualité domaniale. En ce sens, les biens de la municipalité font partie soit de son domaine privé ou soit de son domaine public. La distinction est importante puisque les biens de la municipalité affectés à l’utilité publique font partie de son domaine public et sont, de ce fait, insaisissables (art. 916 du Code civil du Québec [CcQ]).

Si on ajoute aux dispositions législatives ci-haut mentionnées celles prévues à l’article 2668 CcQ, les biens de la municipalité insaisissables ne peuvent être grevés d’une hypothèque légale ou conventionnelle.

Quels sont les biens qui sont affectés à l’utilité publique de la municipalité?

 En 2021, la Cour d’appel du Québec s’est penchée sur cette question (Douglas Consultants inc. c. Unigertec inc., 2021 QCCA 384, le 8 mars 2021). Dans cette affaire, la ville a adjugé un contrat pour la construction d’un centre multifonctionnel destiné à servir à des fins communautaires, de loisirs, de santé, de sports et d’entraînement physique pour ses citoyens et ceux des municipalités voisines. Dans le cadre de la réalisation de ces travaux, un sous-entrepreneur qui n’avait pas été payé pour ses services par l’entrepreneur général a inscrit sur l’immeuble une hypothèque légale. Il a, par la suite, demandé le délaissement forcé et la vente sous contrôle de la justice du centre multifonctionnel pour lequel il avait, par ses travaux, procuré une plus-value.

La ville a requis du tribunal la radiation de l’hypothèque légale soutenant que l’immeuble est un édifice public municipal. Il s’agit donc d’un bien affecté à l’utilité publique de la municipalité et que, de ce fait, il était insaisissable. Il ne pouvait donc y avoir d’enregistrement au registre foncier d’une hypothèque légale sur cet immeuble.

En première instance, la Cour supérieure a conclu qu’il s’agissait bien d’un immeuble affecté à l’utilité publique de la municipalité au sens de l’article 916 CcQ et qu’ainsi, il ne pouvait être affecté d’une hypothèque légale. Le tribunal a donc ordonné la radiation de celle-ci.

Le sous-entrepreneur en a appelé de cette décision devant la Cour d’appel du Québec. Le sous-entrepreneur prétendait que des restrictions pour l’application des dispositions prévues à l’article 916 CcQ devaient être prises en considération. Selon le sous-entrepreneur, pour qu’un immeuble soit affecté à l’utilité publique, il faut que le bien soit concrètement utilisé aux fins d’assurer des services essentiels liés à leur raison d’être. Pensons, par exemple et non limitativement, à une station de pompage de l’eau potable.

La Cour d’appel rappelle qu’un bien sera considéré comme étant affecté à l’utilité publique s’il est destiné à l’usage du public général, s’il est essentiel au fonctionnement de la municipalité ou s’il est gratuitement à la disposition du public en général. C’est le cas de tout équipement municipal servant à l’ensemble du public, incluant, non limitativement, les rues, trottoirs, allées piétonnières, voies cyclables, stationnements municipaux ainsi que les édifices qui servent à l’usage du public en général, tels que l’hôtel de ville, le centre communautaire, etc. Il faut imaginer qu’un service fourni à l’intérieur de l’immeuble peut ne pas l’être à titre onéreux sans pour autant que l’immeuble ne soit en soi à l’usage du public en général.

Pour la Cour d’appel, le terme « affecté à l’utilité publique » doit recevoir une interprétation large et libérale afin de respecter la volonté du législateur d’empêcher que les biens bénéficiant à la population ne soient susceptibles de tomber dans le domaine privé ou d’être saisis pour devenir des propriétés privées.

En conséquence, la Cour d’appel a conclu que le centre multifonctionnel était destiné à l’usage du public en général et qu’en conséquence, il bénéficiait de la protection des biens affectés à l’utilité publique de la municipalité.

Un entrepreneur général ou un sous-entrepreneur ou un fournisseur de matériaux qui effectue des travaux ou fournit du matériel intégré à un bien municipal affecté à l’utilité publique ne peut inscrire une hypothèque légale ou saisir, même après avoir obtenu un jugement contre la municipalité, un bien utilisé à cette fin puisqu’il est insaisissable.

954

Auteurs

Gaston Saucier

Avocat, associé

Articles dans la même catégorie

Planification successorale : ne négligez pas votre coffret de sûreté

Que vous ayez déjà une planification successorale, que vous soyez en processus de planification successorale ou que vous procrastiniez à ce sujet, vous pourriez vouloir tenir compte des avantages et des inconvénients d’un coffret de sûreté (parfois appelé coffre-fort ou compartiment de coffre-fort) dans vos projets. À une certaine époque, les coffrets de sûreté étaient […]

L’obligation de renseignement dans une transaction commerciale

« Le rédacteur des documents instrumentant une transaction a l’obligation d’informer les cocontractants de tout changement qu’il y apporte. » [1] – c’est ainsi que l’Honorable Ian Demers, J.C.S., débute son jugement daté du 23 avril 2024 dans l’affaire Maçons Patrimoniaux Inc. c. Aliston Investissement Inc., 2024 QCCS 1447. Dans cette histoire, la demanderesse Maçons […]

Certificats médicaux et projet de loi C-68 : Quelles conséquences pour les employeurs?

Champ d’application et entrée en vigueur La Loi visant principalement à réduire la charge administrative des médecins (la « Loi 29 ») a été adoptée le 8 octobre 2024. Ces dispositions modifient la Loi sur les normes du travail (la « LNT »), et seront en vigueur à partir du 1er janvier 2025. Ces nouvelles interdictions s’appliquent également aux […]

Un immeuble patrimonial, un incendie criminel mortel : l’avis de 15 jours à la Ville était-il requis?

Faits en litige Le 16 mars 2023, un incendie mortel a ravagé un immeuble patrimonial du Vieux-Montréal, propriété de Me Émile Benamor. Il est allégué que l’incendie est de nature criminelle, allumé par un tiers. Le demandeur, propriétaire des lieux, intente un recours de 7 575 000 $ contre la Ville de Montréal afin d’être […]

Un jugement « corrosif » de la Cour d’appel envers les fabricants : l’affaire Reckitt

Nos lecteurs se souviendront d’un jugement de première instance rendu en février 2023 par le juge Alain Michaud, commenté par Me Ariane Vanasse de RSS et disponible sur notre site Web. Ce jugement avait été porté en appel par Reckitt, le fabricant du Lysol Advance. Dans un arrêt récent, la Cour d’appel s’est penchée sur […]

Projet de loi « anti-briseurs de grève » : Les conséquences de C-58 sur votre entreprise, partie 1

Commentaires généraux Entrée en vigueur. Le 20 juin 2024, la Loi modifiant le Code canadien du travail et le Règlement de 2012 sur le Conseil canadien des relations industrielles (« projet de loi C-58 ») a reçu la sanction royale. Le projet de loi C-58 entrera en vigueur le 20 juin 2025. Interdiction. Le projet de loi […]

Soyez les premiers informés

Abonnez-vous à nos communications