Il est connu que les municipalités bénéficient de la dualité domaniale. En ce sens, les biens de la municipalité font partie soit de son domaine privé ou soit de son domaine public. La distinction est importante puisque les biens de la municipalité affectés à l’utilité publique font partie de son domaine public et sont, de ce fait, insaisissables (art. 916 du Code civil du Québec [CcQ]).
Si on ajoute aux dispositions législatives ci-haut mentionnées celles prévues à l’article 2668 CcQ, les biens de la municipalité insaisissables ne peuvent être grevés d’une hypothèque légale ou conventionnelle.
Quels sont les biens qui sont affectés à l’utilité publique de la municipalité?
En 2021, la Cour d’appel du Québec s’est penchée sur cette question (Douglas Consultants inc. c. Unigertec inc., 2021 QCCA 384, le 8 mars 2021). Dans cette affaire, la ville a adjugé un contrat pour la construction d’un centre multifonctionnel destiné à servir à des fins communautaires, de loisirs, de santé, de sports et d’entraînement physique pour ses citoyens et ceux des municipalités voisines. Dans le cadre de la réalisation de ces travaux, un sous-entrepreneur qui n’avait pas été payé pour ses services par l’entrepreneur général a inscrit sur l’immeuble une hypothèque légale. Il a, par la suite, demandé le délaissement forcé et la vente sous contrôle de la justice du centre multifonctionnel pour lequel il avait, par ses travaux, procuré une plus-value.
La ville a requis du tribunal la radiation de l’hypothèque légale soutenant que l’immeuble est un édifice public municipal. Il s’agit donc d’un bien affecté à l’utilité publique de la municipalité et que, de ce fait, il était insaisissable. Il ne pouvait donc y avoir d’enregistrement au registre foncier d’une hypothèque légale sur cet immeuble.
En première instance, la Cour supérieure a conclu qu’il s’agissait bien d’un immeuble affecté à l’utilité publique de la municipalité au sens de l’article 916 CcQ et qu’ainsi, il ne pouvait être affecté d’une hypothèque légale. Le tribunal a donc ordonné la radiation de celle-ci.
Le sous-entrepreneur en a appelé de cette décision devant la Cour d’appel du Québec. Le sous-entrepreneur prétendait que des restrictions pour l’application des dispositions prévues à l’article 916 CcQ devaient être prises en considération. Selon le sous-entrepreneur, pour qu’un immeuble soit affecté à l’utilité publique, il faut que le bien soit concrètement utilisé aux fins d’assurer des services essentiels liés à leur raison d’être. Pensons, par exemple et non limitativement, à une station de pompage de l’eau potable.
La Cour d’appel rappelle qu’un bien sera considéré comme étant affecté à l’utilité publique s’il est destiné à l’usage du public général, s’il est essentiel au fonctionnement de la municipalité ou s’il est gratuitement à la disposition du public en général. C’est le cas de tout équipement municipal servant à l’ensemble du public, incluant, non limitativement, les rues, trottoirs, allées piétonnières, voies cyclables, stationnements municipaux ainsi que les édifices qui servent à l’usage du public en général, tels que l’hôtel de ville, le centre communautaire, etc. Il faut imaginer qu’un service fourni à l’intérieur de l’immeuble peut ne pas l’être à titre onéreux sans pour autant que l’immeuble ne soit en soi à l’usage du public en général.
Pour la Cour d’appel, le terme « affecté à l’utilité publique » doit recevoir une interprétation large et libérale afin de respecter la volonté du législateur d’empêcher que les biens bénéficiant à la population ne soient susceptibles de tomber dans le domaine privé ou d’être saisis pour devenir des propriétés privées.
En conséquence, la Cour d’appel a conclu que le centre multifonctionnel était destiné à l’usage du public en général et qu’en conséquence, il bénéficiait de la protection des biens affectés à l’utilité publique de la municipalité.
Un entrepreneur général ou un sous-entrepreneur ou un fournisseur de matériaux qui effectue des travaux ou fournit du matériel intégré à un bien municipal affecté à l’utilité publique ne peut inscrire une hypothèque légale ou saisir, même après avoir obtenu un jugement contre la municipalité, un bien utilisé à cette fin puisqu’il est insaisissable.