Dans Mitchell c. Procureur général du Québec, 2022 QCCS 2983, la juge Chantal Corriveau de la Cour supérieure vient d’ordonner la suspension provisoire de l’entrée en vigueur des articles 9 et 208.6 de la Charte de la langue française telle qu’amendée par la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français, mieux connue sous le nom de Loi 96.
Ces dispositions, qui devaient entrer en vigueur le 1er septembre de cette année, obligeaient les personnes morales désirant déposer un acte de procédure rédigé en anglais de l’accompagner d’une traduction française certifiée par un traducteur agréé. À défaut, le greffe du tribunal ou de l’organisme quasi judiciaire devait en refuser le dépôt.
Quelques avocats, soutenus par l’intervention du Barreau du Québec, ont contesté la constitutionalité de ces dispositions. Selon les demandeurs, ces dispositions violeraient l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867. Cet article prévoit que toute personne a le choix d’utiliser l’une ou l’autre des deux langues devant les « tribunaux du Canada » ou devant les « tribunaux de [sic] Québec ».
Le jugement en date du 12 août 2022 suspend durant l’instance en Cour supérieure l’entrée en vigueur des articles en question et ce nonobstant appel. Ainsi qu’il appert au paragraphe 82 du jugement, la Cour supérieure « entend procéder dès que les parties seront prêtes et a même proposé une audition finale dès novembre 2022 ». Il est donc possible que l’affaire soit entendue au mérite avant la fin de l ‘année et que jugement soit rendu cet hiver. Il faut s’attendre toutefois à ce qu’il soit porté en appel par l’une ou l’autre des parties. Il est probable que la suspension d’une façon ou d’une autre demeurera en vigueur jusqu’au jugement final au mérite. Entre temps, il n’est pas nécessaire de fournir une version française certifiée d’un acte de procédure en anglais.
Bien que la juge Corriveau se garde évidemment de se prononcer sur le mérite de la demande, son jugement tient compte d’un certain nombre de facteurs pratiques tels que la pénurie de traducteurs qualifiés, les difficultés de satisfaire les exigences de la Charte en cas d’urgence, les coûts substantiels de traductions certifiées et le fait que la majorité des personnes morales immatriculées auprès du Registraire des entreprises sont de petites entités de dix employés ou moins.
Au paragraphe 49, le Tribunal note :
[…] la preuve démontre un risque sérieux que, dans ces affaires, certaines personnes morales ne pourront faire valoir leurs droits en temps utile devant les tribunaux, ou encore soient obligées de le faire dans une langue autre que la langue officielle qu’elles et leurs avocats maîtrisent le mieux et qu’ils identifient comme la leur. |
Rappelons que les dispositions visées de la Charte ne portent que sur les actes de procédure écrits et non pas sur la langue de témoignages ni sur les plaidoiries orales.