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Obligation de défendre? Modérez vos transports!

Dans la décision récente Intact Compagnie d’assurance c. Entreprises Transkid inc., 2024 QCCS 16, la Cour supérieure du Québec (la « Cour ») devait déterminer si une police d’assurance globale des transporteurs comprenant une garantie d’assurance responsabilité civile à l’égard de marchandise transportée par camion pouvait trouver application en cas d’entreposage temporaire.

Les faits

L’affaire concerne le vol de deux remorques contenant de la marchandise appartenant à une entreprise de distribution de jeux et de jouets nommée Imports Dragon (« Imports »). L’assureur d’Imports, Intact Compagnie d’assurance (« Intact »), intente un recours subrogatoire contre Les Entreprises Transkid Inc. (« Transkid »), qui avait la garde de la marchandise. Transkid se tourne vers son assureur responsabilité civile, Echelon Assurance (« Echelon »), et demande qu’elle prenne fait et cause dans l’action sous-jacente d’Intact par le biais d’une demande de type Wellington.

Dans sa demande introductive d’instance, Intact allègue que Transkid a reçu la marchandise d’Imports à des fins d’entreposage. Elle impute le vol des deux remorques à un manquement de Transkid à titre de dépositaire.

Intact produit au soutien de sa demande le rapport d’incident et le rapport complémentaire du Service de police de la ville de Montréal (« SPVM »). Selon le rapport complémentaire, les remorques volées étaient stationnées sur le quai de chargement de Transkid. De plus, Imports et Transkid avaient une relation contractuelle impliquant le transport de marchandises, alors que l’entreposage était temporaire dans l’attente d’une livraison chez un marchand. 

La preuve déposée par Transkid et Echelon confirme d’ailleurs que leur relation contractuelle s’étendait au transport et que l’entreposage n’était que transitoire.

L’analyse

a) L’obligation de défendre

C’est à la lumière de ce contexte factuel que la Cour dispose de la demande de type Wellington de Transkid. Elle rappelle d’abord les principes s’appliquant en l’occurrence, qui sont bien connus. L’obligation de défendre de l’assureur est déclenchée lorsque les faits allégués dans l’acte de procédure déposé contre l’assuré sont susceptibles d’être couverts par le contrat d’assurance. Il faut ainsi établir la nature véritable de la réclamation en tenant les faits et les pièces pour avérés, sans pour autant être lié par la terminologie utilisée.

b) La garantie d’assurance

La garantie en cause dans le contrat d’assurance se lit comme suit :

Nous convenons de vous indemniser des sommes que vous êtes contraint de payer, en raison de la responsabilité imposée par la loi, à vous [sic] en tant que transporteur en vertu d’un connaissement, d’un contrat de transport ou d’un reçu d’expédition délivré par vous, pour les pertes ou les dommages matériels directement causés aux « biens assurées » par une « cause de sinistre assurée ».

Les termes « biens assurés » sont définis comme suit :

  1. « bien assurés » : biens d’autrui dont vous avez la garde ou la gestion, à partir du moment où les biens sont « chargés » dans des véhicules dont vous êtes le propriétaire ou l’exploitant, mais seulement pendant que lesdits biens sont en cours normal de transport et pendant que ces véhicules sont dans un terminal, et prenant fin lorsque les biens sont déchargés au lieu de destination prévu, ou jusqu’à ce que votre intérêt en tant que transporteur prenne fin, selon la première des éventualités.

La Cour conclut que la garantie d’assurance reproduite ci-haut est susceptible d’application. Elle s’appuie sur le rapport complémentaire du SPVM produit au soutien de la demande d’Intact. Selon ce rapport, la marchandise volée était contenue dans des remorques de transport stationnées sur le quai de chargement de Transkid et était destinée à être livrées à des commerçants.

La Cour en infère que la marchandise pouvait avoir été chargée dans les remorques en vue d’une livraison chez un commerçant, ou encore demeurer non‑déchargée à la suite d’un transport. Dans les deux cas, la définition de « biens assurés », qui s’étend du chargement au déchargement même lorsque les véhicules sont garés dans un terminal, pourrait trouver application. Ainsi, la Cour estime qu’il est possible que la garantie d’assurance soit déclenchée.

c) L’exclusion pour « biens entreposés »

La Cour se tourne ensuite vers les exclusions contenues au contrat d’assurance. Entre autres, la police contient une exclusion pour « les biens entreposés en vertu d’un récépissé d’entrepôt ou d’un autre contrat d’entreposage écrit ».

Afin d’invoquer cette exclusion, Echelon produit deux factures d’entreposage émises par Transkid à l’intention d’Imports. Même si ces deux factures pourraient constituer des récépissés d’entrepôt en vertu de l’exclusion, la Cour estime qu’elles sont incomplètes et que rien ne permet de les associer directement à la marchandise volée.

De plus, ces deux factures n’ont pas été produites au soutien de la demande d’Intact, ce qui empêche d’en tenir compte aux fins de l’obligation de défendre.

Par ailleurs, même si la Cour avait conclu à l’existence d’un récépissé d’entrepôt ou d’un contrat d’entreposage, la preuve n’aurait pas démontré que la marchandise volée était sur le point d’être déchargée pour entreposage.

En somme, la Cour conclut qu’Echelon n’a pas su démontrer l’application manifeste et non-équivoque de l’exclusion pour « biens entreposés ».

d) L’extension pour « entreposage temporaire »

En terminant, la Cour souligne l’existence de l’extension de garantie suivante, intitulée « Entreposage temporaire » :

La garantie accordée par le présent formulaire s’applique aux « biens assurés » se trouvant temporairement déchargés des véhicules dans un terminal pour une période n’excédant pas trente (30) jours consécutifs ou pour une période pendant laquelle vous êtes responsable en tant que transporteur, soit la période la plus courte.

Or, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire de déterminer si cette extension est susceptible d’application ou non au vu de ses conclusions relatives à la garantie d’assurance et l’exclusion pour « biens entreposés ».

e) Conclusion

En somme, la Cour conclut que la réclamation d’Intact contre Transkid est susceptible d’être couverte. Ainsi, elle accueille la demande de type Wellington et ordonne à Echelon de prendre fait et cause et d’assumer la défense de Transkid.

* * * *

Cette décision démontre l’importance que peuvent avoir les pièces produites au soutien de l’acte de procédure déposé contre l’assuré dans l’analyse de l’obligation de défendre. En l’occurrence, Intact alléguait la responsabilité de Transkid à titre de dépositaire de la marchandise volée. Or, le rapport du SPVM produit par Intact laissait entendre qu’elle agissait également à titre de transporteur et que les remorques volées étaient stationnées sur le quai de chargement de l’entrepôt, rendant ainsi la garantie d’assurance susceptible d’application. Il importe donc de lire les allégations de l’acte de procédure à la lumière des pièces invoquées à son soutien dans le cadre d’une demande de type Wellington.

Par ailleurs, ce jugement illustre le fardeau de la preuve qui incombe à chaque partie à l’occasion d’une demande de type Wellington. L’assuré doit seulement démontrer que la garantie d’assurance pourrait trouver application dans l’hypothèse où les allégations de la demande introductive d’instance étaient prouvées au fond. Quant à l’assureur, il doit démontrer qu’une exclusion du contrat d’assurance s’applique de manière claire et non-équivoque pour se soustraire à l’obligation de défendre. Enfin, si une exception à l’exclusion est pertinente, l’assuré a le fardeau de prouver qu’elle pourrait s’appliquer.

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