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Traitement des réclamations par l’assureur – rappel de quelques principes

Le 12 février dernier, la Cour d’appel rendait un arrêt intéressant dans le cadre d’un litige opposant la Société d’assurance Beneva inc. (« Beneva ») à ses assurés1.

Origine du litige et décision de la Cour supérieure

Le recours judiciaire avait initialement été intenté devant la Cour supérieure par les assurés2, en raison du refus de Beneva de les indemniser suite à l’incendie de l’immeuble dont ils étaient respectivement propriétaire et locataires. La réclamation incluait notamment ce qui suit :

  • Indemnité pour les dommages à l’immeuble;
  • Indemnité pour la somme d’argent liquide perdue dans l’incendie;
  • Troubles, dommages et inconvénients en raison de la conduite fautive et abusive de Beneva dans la gestion de la réclamation.

En plus de contester la réclamation, Beneva s’était portée demanderesse reconventionnelle afin de réclamer de l’assuré propriétaire le remboursement de l’indemnité versée à son créancier hypothécaire suite à l’incendie, en application de la clause relative aux garanties hypothécaires contenue à la police, qui prévoyait que l’assureur ne pouvait opposer au créancier « les actes, négligences ou déclarations des propriétaires, locataires ou occupants des biens assurés ».

Dans le cadre de son enquête, Beneva avait obtenu un rapport d’expertise qui concluait que l’incendie était de nature intentionnelle. Elle avait nié couverture pour ce motif, ainsi qu’en raison des déclarations mensongères et contradictoires faites par l’assuré en cours d’enquête, en vertu des articles 2464 et 2472 C.c.Q. Conformément à la clause relative aux garanties hypothécaires, elle a néanmoins versé au créancier le solde de la dette hypothécaire due par l’assuré et a obtenu une quittance subrogatoire de ce créancier.

La demande des assurés a été accueillie en partie par la Cour supérieure et la demande reconventionnelle a été rejetée, d’où le recours en appel.

Intervention de la Cour d’appel

Lors de l’instruction en Cour supérieure, Beneva avait tenté, sans succès, d’établir que son assuré était l’auteur de l’incendie. La Cour d’appel n’a pas voulu intervenir sur ce point, ni sur la condamnation relative à la perte d’argent liquide, en l’absence d’erreur manifeste et déterminante du juge de première instance quant à l’analyse des faits.

La Cour d’appel est toutefois intervenue sur les éléments suivants :

  • Troubles, dommages et inconvénients :

La Cour d’appel a jugé que le tribunal de première instance avait erré en condamnant Beneva au paiement de dommages au motif qu’elle n’avait pas agi de bonne foi dans le traitement de la réclamation de ses assurés. L’assureur qui traite une réclamation a une obligation de moyens et non de résultat. Le simple fait qu’un tribunal conclut, à l’issu d’un procès, que la perte aurait dû être couverte dès le départ, ne signifie pas que l’assureur a commis une faute distincte de son refus de payer, ni qu’il a agi de mauvaise foi.

En l’espèce, rien dans la preuve ne permettait de conclure à la mauvaise foi de l’assureur ou à une enquête bâclée. La cause de l’incendie, soit l’intervention humaine intentionnelle, n’a pas été contredite, et la preuve a démontré que Beneva avait effectué une enquête minutieuse et n’avait pas considéré uniquement la piste de la responsabilité de son assuré.

La condamnation aux dommages pour troubles et inconvénients a donc été infirmée.

  • Point de départ du calcul des intérêts et de l’indemnité additionnelle :

Selon la Cour d’appel, le juge a première instance a erré en accordant les intérêts sur les sommes payables par Beneva à compter de la date de l’incendie.

Le paiement des intérêts en cas de retard d’une obligation de payer une somme d’argent est prévu par l’article 1617 C.c.Q., selon lequel les intérêts courent à compter de la demeure. Le juge n’a pas le pouvoir discrétionnaire de fixer un autre point de départ pour le calcul.

En matière d’assurance, l’article 2473 C.c.Q. prévoit que l’assureur doit payer l’indemnité à son assuré dans les 60 jours suivant la déclaration de sinistre ou la communication des renseignements supplémentaires qu’il a requis. Il y a demeure de plein droit suivant l’expiration de ce délai.

Les intérêts ont donc commencé à courir à compter de l’expiration de ce délai et non à compter de la date de l’incendie.

  • Demande reconventionnelle

La Cour d’appel a également considéré que le tribunal de première instance avait erré en omettant de prendre en compte le paiement effectué par Beneva au créancier hypothécaire et en rejetant la demande reconventionnelle sans motif explicite.

La Cour d’appel rappelle que le contrat d’assurance vise l’indemnisation du préjudice subi lors d’un sinistre et ne doit pas permettre à l’assuré de s’enrichir. En l’espèce, s’il fallait maintenir le rejet de la demande reconventionnelle, l’assuré de Beneva se retrouverait à bénéficier de l’indemnité complète pour la perte de son immeuble, en plus de voir sa dette hypothécaire éteinte. Il y a donc lieu d’accueillir la demande reconventionnelle afin de déduire du montant payable par Beneva, le montant versé au créancier hypothécaire (majoré de l’intérêt et de l’indemnité additionnelle).

***

Bien que chaque cas soit un cas d’espèce, les principes généraux auxquels réfère la Cour d’appel sont certainement susceptibles de trouver application dans de nombreux litiges entre assureurs et assurés.

1Société d’assurance Beneva inc. c. Bordeleau, 2024 QCCA 171.

2Bordeleau c. La Capitale Assurances générales inc., 2023 QCCS 3052.

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Auteurs

Stéphanie Beauchamp

Avocate, associée

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