Le 18 avril dernier, la Cour d’appel du Québec (la « Cour ») rendait un arrêt de première importance dans le dossier Promutuel Vallée du St-Laurent, société mutuelle d’assurance générale c. Noyrigat-Gleye, 2024 QCCA 447, concernant l’obligation de défendre en matière d’injonction et de dommages punitifs.
De plus, la Cour en profite pour préciser dans quels cas l’assureur doit prendre fait et cause pour l’entièreté de la réclamation, sujet au partage éventuel des frais de défense, lorsqu’une partie de la réclamation n’est pas couverte par la police d’assurance.
A. Les procédures
Les faits sont simples. Le demandeur Guy Bélanger (le « Demandeur ») poursuit les assurés Nelly Noyrigat-Gleye et Guilhem Labertrande (les « Assurés ») au motif qu’ils auraient coupé des arbres sur son terrain, modifié son dénivèlement et construit un mur de soutènement sur celui-ci. Il demande des dommages compensatoires de 38 098 $ pour les arbres et de 7 500 $ pour stress, ennuis et inconvénients, des dommages punitifs de 24 200 $ en vertu de la Loi sur la protection des arbres, ainsi que deux injonctions permanentes visant le démantèlement du mur de soutènement et le rétablissement du dénivelé.
Les Assurés se tournent vers leur assureur responsabilité civile, Promutuel Vallée du St-Laurent (« l’Assureur »), qui accepte de prendre fait et cause sauf en ce qui concerne les conclusions en injonction et en dommages punitifs. Les Assurés déposent donc une demande de type Wellington, qui est accueillie par le juge de première instance le 20 mars 2023.
L’Assureur porte le dossier en appel. Il estime qu’il n’a pas à prendre fait et cause à l’égard des conclusions en injonction et en dommages punitifs, qui ne seraient pas couvertes. La Cour rejette l’appel et ordonne d’assumer la défense des Assurés pour le tout. Voici pourquoi.
B. L’analyse
I. Les injonctions
D’emblée, la Cour souligne qu’il importe, à l’occasion d’une demande de type Wellington, d’établir la nature véritable du litige au-delà des termes utilisés dans la demande et de la sanction ou conclusion recherchée. L’obligation de défendre est déclenchée si, en fonction de la nature véritable du litige, il existe une possibilité que l’assureur soit tenu d’indemniser l’assuré en vertu de la police d’assurance.
En l’occurrence, la police couvre « les conséquences financières de la Responsabilité civile » et « se limite aux dommages-intérêts compensatoires ». Si le Demandeur a choisi de procéder par injonction, la Cour estime que les injonctions demandées visent l’indemnisation d’un préjudice passé, soit le dénivèlement du terrain et la construction du mur de soutènement, et qu’il existe dès lors une possibilité qu’elles soient couvertes par la police d’assurance.
Pour illustrer son raisonnement, la Cour note que le Demandeur aurait pu faire évaluer les travaux nécessaires à la remise en état du terrain pour en réclamer les coûts, qui auraient pu être couverts sous la police. Par ailleurs, si les injonctions sont accordées et les Assurés font exécuter les travaux, les coûts ainsi déboursés pourraient aussi être couverts sans pour autant altérer la nature véritable du litige.
À l’opposé, la Cour explique qu’une injonction visant l’exécution d’une obligation de faire ou de ne pas faire ne serait pas couverte par la police d’assurance. À titre d’exemple, une injonction visant à contraindre une partie à exécuter une prestation de service ou à respecter une clause de non-concurrence aux termes d’un contrat ne serait pas couverte, n’étant pas de nature compensatoire.
Essentiellement, la Cour conclut que le choix du Demandeur de procéder par injonction ne modifie pas la nature véritable du litige, qui vise la compensation du préjudice matériel qu’aurait causé les Assurés. Elle convient donc que les conclusions en injonction pourraient être couvertes et que l’Assureur doit conséquemment prendre fait et cause quant à cette partie de la réclamation.
II. Les dommages punitifs
Pour la Cour, la question relative aux dommages punitifs s’articule différemment, car ceux-ci sont expressément exclus en vertu de la clause suivante:
NOUS NE COUVRONS PAS :
[…]- e) Les sommes qui ne sont pas de nature purement compensatoire, telles que les amendes, les pénalités et les dommages-intérêts punitifs ou exemplaires.
Puisque les dommages punitifs sont exclus, l’enjeu est de savoir si le juge de première instance pouvait ordonner à l’Assureur de prendre fait et cause pour l’entièreté de la réclamation (y compris pour les dommages punitifs non couverts), sous réserve d’un partage des frais de défense au terme du litige.
La Cour répond par l’affirmative. Elle conclut que l’assureur peut être tenu de mandater un seul avocat pour défendre l’entièreté d’une réclamation, même les parties non couvertes, lorsqu’il serait déraisonnable et injustifié d’exiger que l’assuré mandate un second avocat uniquement pour les parties non couvertes.
Le raisonnement de la Cour prend sa source dans le droit procédural. Elle explique que, si l’obligation de défendre s’étend seulement à ce qui est couvert par la police d’assurance, son exécution doit être conforme aux principes directeurs de la procédure civile et concilier autant que possible les intérêts de toutes les parties.
À l’occasion, la présence d’un second avocat pour défendre les parties non couvertes aurait pour effet d’alourdir indûment les procédures et d’augmenter les coûts pour toutes les parties et le système de justice. Dans ces circonstances, il incombe à l’assureur de défendre pour l’ensemble, même ce qui n’est pas couvert. Néanmoins, l’assureur peut réclamer les frais de défense relatifs aux parties non couvertes à la fin du litige, du moment où ils peuvent être départagés du reste.
La Cour propose une liste de facteurs devant être pondérés afin de déterminer si l’assureur doit prendre fait et cause pour les parties non couvertes. Ils incluent, mais ne sont pas limités à :
- L’unicité ou non des faits générateurs entre les enjeux couverts et non couverts;
- L’importance, la connexité et la complexité des enjeux non couverts;
- La nécessité ou non d’une preuve spécifique aux enjeux non couverts;
- La proportion du litige qui portera sur les enjeux non couverts;
- Le risque d’un conflit d’intérêts si un second avocat est mandaté;
- Le tout en fonction des principes directeurs du droit procédural.
En vertu de ces facteurs, la Cour estime que le juge de première instance s’est bien dirigé en imposant à l’Assureur de défendre la réclamation en dommages punitifs, sujet à un partage des frais de défense à la fin du litige. Notamment, dans ce cas précis, les dommages punitifs en vertu de la Loi sur la protection des arbres étaient sujets aux mêmes faits générateurs et moyens de preuve que la réclamation couverte pour dommages compensatoires. Ainsi, la nomination d’un second avocat pour défendre uniquement la réclamation non couverte en dommages punitifs n’était pas justifiée.
À retenir
Cette décision de la Cour d’appel apporte des précisions importantes en ce qui concerne l’obligation de défendre en matière d’injonction et son exécution lorsque la réclamation est en partie non couverte.
Au sujet des injonctions, la position de la Cour est nuancée. Il importe de bien qualifier le but recherché par l’injonction à la lumière des termes de la police d’assurance avant de sauter aux conclusions. Si l’injonction vise à remettre le demandeur en état à la suite d’un préjudice, l’obligation de défendre pourrait être déclenchée car l’injonction poursuit un objectif compensatoire. Or, si l’injonction vise plutôt l’exécution d’une obligation d’agir ou de cesser d’agir sans qu’il y ait réparation d’un préjudice, elle ne peut être assimilée à des dommages‑intérêts compensatoires.
Quant à l’exécution de l’obligation de défendre lorsqu’une partie de la réclamation n’est pas couverte, l’arrêt de la Cour comprend des lignes directrices utiles, notamment une liste de facteurs devant être pondérés pour déterminer si l’avocat mandaté par l’assureur doit défendre ou non les parties non couvertes. Dans tous les cas, les frais de défense exclusivement associés aux parties non couvertes demeurent à la charge de l’assuré et peuvent en théorie être récupérés par l’assureur à la fin des procédures.