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L’acceptation des risques dans le sport : deux décisions récentes de la Cour supérieure

Il existe en responsabilité civile une notion dite de l’« acceptation des risques ». Cette notion bien reconnue est basée sur la prémisse qu’un individu qui accepte de participer à une activité comportant un risque ou un danger ne peut réclamer des dommages s’il subit une blessure à la suite de la réalisation de ce risque ou de ce danger. Deux décisions récentes viennent illustrer que bien que cette notion ait une application limitée en fonction des faits et des circonstances, les demandes en responsabilité civile reposent sur l’examen de la faute.

Faute des défendeurs : réclamation accueillie

Climo c. ASN Canada FIA, 2022 QCCS 3538, fait suite à une journée de course de karting au circuit Le Monaco de Trois-Rivières qui s’est terminée de façon tragique. Le demandeur, un pilote de 18 ans, a subi un grave accident lorsque son kart est entré en contact avec une balle de foin avant de percuter un muret de béton, éjectant le pilote de son siège. Il a subi de nombreuses blessures, notamment au cerveau pour lesquelles il a dû être hospitalisé durant 47 jours.

La victime et ses parents ont poursuivi la fédération sportive qui sanctionnait les activités canadiennes de sport automobile, y compris le karting; l’organisme qui présentait la course; et celui qui exploitait le circuit.

La Cour supérieure rappelle d’entrée de jeu que ceux qui s’engagent contractuellement afin d’offrir des activités sportives ont une obligation implicite de sécurité. Cette obligation en est toutefois une de moyen. Le sport, en particulier le sport automobile, comporte de grands risques de blessures. Toutefois, cela ne veut pas dire que toute blessure résultant d’un accident de course sera considérée comme faisant partie des risques inhérents au sport. L’acceptation des risques ne s’étend qu’aux risques normaux raisonnablement prévisibles pour le conducteur en fonction des circonstances.

La preuve a révélé que le virage où s’est produit l’accident était propice à un accident — « a likely impact zone » [par 164]. Des balles de foin avaient été disposées pour amortir les chocs, mais elles n’étaient pas enveloppées de plastique, alors que les règlements dictaient qu’elles le soient. Une roue du kart de la victime a donc été coincée dans la paille, ce qui a causé l’embardée.

Le demandeur a donc été exposé à un risque anormal, qui excédait les limites de ce qu’il acceptait implicitement, et les graves blessures qu’il a subies ont été la conséquence de la faute des défenderesses.

Les défenderesses ont été reconnues responsables de l’accident et condamnées à payer les dommages préétablis par les parties avant la tenue du procès aux termes d’une entente confidentielle.

Absence de faute : réclamation rejetée

À l’inverse, la Cour supérieure du Québec, dans une décision tout aussi récente, Lalancette c. F3 Sports (Québec inc.) (isaute Québec) 2022 QCCS 3997 a rejeté la demande de la victime d’un accident de trampoline.

Le 23 décembre 2018, le demandeur, un homme de 23 ans, s’est rendu dans un centre de trampoline accompagné de deux amis. Il a subi une fracture du tibia en sautant d’un podium vers le trampoline puis dans une fosse remplie de cubes de mousse. Des suites de sa chute, le demandeur a dû subir trois opérations. Il a été démontré que la fracture avait été causée par l’atterrissage du demandeur sur un seul pied.

La Cour s’est penchée sur l’obligation de sécurité incombant à l’exploitant d’un centre sportif ouvert au public, qualifiant cette obligation d’obligation de moyen. Elle a réitéré que l’obligation du centre sportif était d’agir de façon raisonnable afin d’assurer la sécurité de ses clients et d’éviter les accidents prévisibles. Toutefois, le centre sportif n’a pas à garantir un résultat ou encore à prévenir tout accident possible.

La Cour a refusé de souscrire à l’argument du demandeur selon lequel le podium duquel il avait sauté constituait un piège. Pour s’apparenter à un piège, une situation devait être intrinsèquement dangereuse, non apparente ou anormale. Or, dans ce cas, elle a jugé que ces critères n’étaient pas satisfaits en ce sens qu’une personne raisonnable sait que lorsqu’elle s’élance d’un podium, elle va atterrir sur la toile du trampoline avec plus de force que si elle débute son saut au même niveau que le trampoline.

De plus, le centre sportif n’avait pas failli à son obligation de surveillance. Il s’assurait que ses clients visionnent une vidéo portant sur les consignes de sécurité avant le début de l’activité. La vidéo était également diffusée en boucle à travers le centre durant l’activité. De plus, le fait d’imposer au centre sportif d’évaluer chaque client afin de s’assurer que chacun d’eux saute sur deux pieds en tout temps reviendrait à imposer au centre sportif une obligation de résultat.

Ici aussi, la Cour a traité de la théorie de l’acceptation des risques inhérents aux sports. La preuve a démontré que le demandeur avait été informé des risques. Il avait lu et signé un formulaire d’acceptation des risques qui stipulait que les services offerts par le centre sportif pouvaient entrainer des blessures graves ou même la mort. Par conséquent, la Cour a jugé que le centre sportif n’avait commis aucune faute engageant sa responsabilité : l’accident résultait d’un risque inhérent à la pratique du trampoline qui avait préalablement été spécifiquement porté à la connaissance du demandeur.

Dans les circonstances, la Cour a rejeté la réclamation du demandeur.

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