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Application de la Loi sur l’assurance automobile du Québec : la Cour d’appel se prononce à nouveau

Ce texte a été rédigé dans le cadre d’un partenariat avec l’Association des femmes d’assurance de Montréal.

La Loi sur l’assurance automobile du Québec, RLRQ, c A-25 [LAA], fait l’objet d’une jurisprudence abondante. Les tribunaux sont régulièrement appelés à déterminer le champ d’application du régime étatique, dont l’objectif est de favoriser l’indemnisation rapide de la victime, mais dont l’application est aussi parfois invoquée par le tiers responsable.

Les cas d’espèce sont nombreux et requièrent souvent une analyse minutieuse. Dans deux arrêts récents, la Cour d’appel rappelle les fondements de la LAA et les critères à considérer pour déterminer si elle s’applique. Dans les deux cas, la décision du tribunal de première instance a été infirmée, preuve qu’il y a encore matière à discussion.

Une chicane de voisins qui dégénère : Lamarre c. Lemieux

Lamarre c. Lemieux, 2022 QCCA 1166, a pour trame de fond une altercation survenue entre deux voisins en lien avec l’utilisation d’un tracteur de ferme qui était dûment immatriculé pour circuler sur la voie publique. Alors que le demandeur circulait avec son tracteur près du terrain du défendeur, ce dernier s’est positionné devant le véhicule pour l’empêcher d’avancer et il a été heurté lorsque le demandeur a relâché le frein de stationnement. Il s’est alors dirigé vers le côté du tracteur pour empoigner le demandeur par son gilet, qui s’est déchiré, tandis que le demandeur tentait de poursuivre sa route.

Suivant ces évènements, les deux voisins, qui avaient déjà une relation houleuse, se réclament mutuellement des dommages punitifs et compensatoires. Le demandeur reproche au défendeur de l’avoir empêché de circuler avec son tracteur, de l’avoir agrippé sur son tracteur et tenté de le projeter au sol et de l’avoir faussement accusé de l’avoir heurté avec son tracteur. De son côté, le défendeur riposte par une demande reconventionnelle et reproche au demandeur de l’avoir heurté avec son tracteur et d’avoir pris des photos de sa résidence et de sa conjointe afin de documenter son dossier dans le cadre des procédures judiciaires.

Après avoir analysé ces faits et les dispositions de la LAA, la juge de première instance a conclu que le litige relevait de la compétence exclusive de la Société de l’assurance automobile du Québec [SAAQ] puisque les dommages réclamés avaient un lien suffisamment étroit avec l’usage du tracteur, automobile au sens de la LAA.

La Cour d’appel ne partage toutefois pas cet avis.

La Cour rappelle d’abord que le régime étatique d’indemnisation établi par la LAA vise à favoriser l’indemnisation du préjudice corporel causé par une automobile. La notion de préjudice corporel comprend le préjudice d’ordre physique ou psychique ainsi que les dommages aux vêtements portés par la victime.

L’application de ce régime empêche la victime d’exercer un recours à l’encontre du tiers responsable de son préjudice corporel. Un tel recours demeure toutefois possible pour les dommages matériels, lesquels ne sont pas indemnisés par l’État.

Par conséquent, la qualification du préjudice et le lien de causalité entre celui-ci et l’usage de l’automobile sont au cœur de l’analyse devant être effectuée pour déterminer si le litige relève de la compétence exclusive de la SAAQ.

Bien que la LAA doive recevoir une interprétation large et libérale afin de favoriser l’indemnisation, la Cour souligne qu’on doit se garder de conclure à son application dès qu’une automobile est impliquée dans la trame factuelle. Elle procède ensuite à une analyse de chacun des chefs de réclamation.

D’abord, elle détermine que les prétentions du demandeur selon lequel il aurait été apostrophé et intimidé alors qu’il conduisait son tracteur ne découlent pas de l’usage d’une automobile. L’usage de l’automobile n’a pas joué de rôle dans la survenance du préjudice allégué, si ce n’est que d’être à l’origine de l’intervention du défendeur. Les gestes et les propos reprochés auraient eu le même impact sur le demandeur s’il n’avait pas été assis sur son tracteur. Il en va de même quant aux allégations de fausses accusations, lesquelles ont été faites alors que l’usage du tracteur était terminé. L’atteinte reprochée découle de la décision du défendeur de dénoncer les évènements à des tiers et non de l’usage du tracteur. Il ne s’agit pas ici d’une suite logique d’un accident automobile ou d’une aggravation d’un préjudice corporel causé par un accident.

Les mêmes commentaires s’appliquent en ce qui concerne la demande reconventionnelle pour les dommages découlant de la prise de photos par le demandeur. Même si l’objectif était de documenter le dossier judiciaire, les dommages réclamés n’ont aucun lien avec l’usage du tracteur.

Le dossier est donc retourné en Cour du Québec afin de faire trancher la responsabilité et le quantum pour ces chefs de réclamation qui ne relèvent pas du régime étatique.

Quant aux dommages réclamés par le demandeur découlant du fait que le défendeur l’aurait agrippé sur son tracteur, ainsi que ceux réclamés par le défendeur pour avoir été heurté par le véhicule, la Cour d’appel est d’accord avec la conclusion du tribunal de première instance à l’effet que ceux-ci sont susceptibles d’être couverts par la LAA et relèvent donc de la compétence exclusive de la SAAQ.

Une dispute entre automobilistes qui tourne mal : Société de l’assurance automobile du Québec c. Ville de Montréal

Dans la deuxième affaire, Société de l’assurance automobile du Québec c. Ville de Montréal, 2022 QCCA 1165, le litige découle d’une altercation entre deux automobilistes. Le défendeur, un policier de la Ville de Montréal [Ville] qui n’était pas en service lors des faits, a utilisé son véhicule personnel pour foncer à plusieurs reprises sur celui du demandeur. Suivant une cascade d’évènements qui surviennent alors qu’ils sont à bord de leur véhicule respectif, les deux individus en sont venus à composer le 911. Sur la base de fausses informations données par le défendeur à l’effet que le demandeur était armé, ce dernier a été arrêté et accusé d’intimidation et de menaces.

Ayant été blessé au cours des évènements, le demandeur a demandé et reçu une indemnité de la SAAQ.

Au terme de son procès au criminel, le demandeur a été acquitté de ses accusations. Considérant avoir subi des dommages en raison des agissements du défendeur et des fausses déclarations ayant mené aux accusations, il a intenté un recours civil contre lui et la Ville pour être indemnisé. Le tribunal de première instance s’est rangé en faveur de l’argument de la Ville et a déclaré que le recours relevait de la compétence exclusive de la SAAQ, jugeant que l’usage d’un véhicule automobile était l’élément central de la trame factuelle et que tout préjudice futur, distinct ou aggravé, incluant les accusations criminelles, découlaient de l’accident initial.

La Cour d’appel considère que le tribunal de première instance a commis une erreur en omettant de tenir compte de la nature du préjudice allégué et de l’objet de la LAA.

Alors qu’on peut aisément comprendre que le préjudice corporel pour lequel le demandeur a reçu une indemnité de la SAAQ ne pourrait faire l’objet du recours civil, la Cour d’appel considère qu’à première vue, il en est autrement des honoraires d’avocats liés aux accusations criminelles et des dommages-intérêts réclamés pour violation des droits garantis par la Charte découlant de l’arrestation et de la détention du demandeur, lesquels ne semblent pas liés à un préjudice corporel. Rappelons que les dommages matériels ne sont pas couverts par le régime étatique.

En ce qui concerne les dommages moraux et exemplaires, tout dépendra si la preuve révèle que ces dommages sont liés au préjudice corporel subi, auquel cas ils ne peuvent être réclamés aux défendeurs, ou s’ils sont plutôt liés à l’arrestation et à la détention. Bien que le dépôt des plaintes criminelles soit initialement lié à l’usage d’une automobile, la faute alléguée est commise une fois que cet usage est terminé. Les dommages réclamés ne visent pas à compenser le préjudice corporel mais bien la privation de liberté du demandeur.

La Cour rappelle que la prudence est de mise au stade de l’irrecevabilité et retourne le dossier en première instance pour permettre au juge de déterminer, à la lumière de la preuve qui sera administrée, si l’ensemble ou une partie de la réclamation du demandeur relève de la compétence exclusive de la SAAQ.

Ces arrêts récents démontrent que chaque fait est important et qu’on ne peut tenir pour acquis que l’entièreté d’une réclamation qui implique l’usage d’une automobile tombera nécessairement sous la compétence de la SAAQ.

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Auteurs

Stéphanie Beauchamp

Avocate, associée

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