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Mise à jour : l’obligation de défendre en assurance de dommages au Québec

Après avoir raté la cible lors de sa tentative initiale, le ministre des Finances a marqué un but avec son deuxième essai de réglementation identifiant des contrats d’assurance de dommages pouvant être soustraits à l’exigence d’assumer des frais de défense au-delà des limites d’assurance, une obligation d’ordre public en droit québécois.

Survol

Le 5 mai prochain, un règlement révisé, attendu de longue date [Règlement][1] entrera en vigueur. Il soustraira des contrats d’assurance responsabilité émis en faveur de certaines classes d’assurés aux exigences d’ordre public édictées par le Code civil du Québec [CcQ], selon lesquelles l’assureur doit assumer des coûts de défense excédant la limite d’indemnité stipulée dans la police. Comme nous l’avions expliqué dans notre infolettre du 10 septembre dernier, l’article 2500 CCQ, qui est d’ordre public, dicte que « [l]e montant de l’assurance est affecté exclusivement au paiement des tiers lésés. », c’est-à-dire les demandeurs. Aux termes de l’article 2503 CCQ, également d’ordre public, (a) l’assureur doit voir à la défense de son assuré contre les réclamations couvertes, et (b) l’assureur doit payer prendre fait et cause pour son assuré, donc assumer les frais de défense, les intérêts et les frais de justice en sus de la limite de l’indemnité.

Le Règlement constitue la réponse gouvernementale à un durcissement majeur du marché québécois pour certains domaines d’assurance (la responsabilité des administrateurs et dirigeants, notamment) résultant, entre autres causes, de l’effet combiné (a) du risque encouru par les assureurs d’une responsabilité potentiellement illimitée pour les coûts de défense[2]; (b) de l’accroissement des indemnités potentielles liées aux actions collectives (Ibid); (c) des risques accrus liés aux problèmes de liquidité ou d’insolvabilité liés à la pandémie (Ibid); (d) du coût disproportionné des actions collectives au Québec, malgré un processus de certification fort peu restrictif[3]; et un régime de protection du consommateur particulièrement généreux envers ce dernier (Ibid, p. 45).

Le Règlement représente la deuxième tentative du gouvernement québécois pour concevoir un régime juridique apportant une solution efficace aux entraves concurrentielles que doivent affronter tant les assurés que les assureurs, qui, dans l’ensemble, avaient fait front commun pour demander au gouvernement de tempérer le régime. Comme nous l’avions expliqué dans notre texte du 10 septembre, le premier projet de règlement, déposé le 8 septembre 2021, comportait d’importantes contraintes.

De nombreux intéressés se sont fait entendre auprès du ministre des Finances pour dénoncer les lacunes de la première mouture du règlement. La nouvelle version élimine bon nombre d’irritants qui plombaient la version précédente.

Élimination du plafond de 50 % des exemptions

La version précédente du Règlement interdisait l’émission de polices selon lesquelles le paiement des coûts de défense aurait pu excéder 50 % du montant maximal d’assurance (à moins que l’assuré soit éventuellement dégagé de responsabilité). À la suite de représentations d’intéressés, qui soutenaient que ce régime aurait considérablement diminué l’utilité du règlement tout en accroissant la complexité du processus[4], cette limite a été éliminée. Ainsi, en vertu du Règlement, le paiement des coûts de défense aux termes des polices admissibles peut maintenant consommer l’entièreté du montant d’assurance.

Amendement à l’exemption de l’article 1

Les assurés des trois catégories suivantes ont le droit de conclure des polices dérogeant aux exigences des articles 2500 et 2503 CcQ [polices exemptées] pourvu qu’ils se qualifient au moment de souscrire les polices :

  1. Les fabricant de médicaments reconnus en vertu de la Loi sur l’assurance médicaments;
  2. Trois fonds d’investissement statutaires (Capital régional et coopératif Desjardins; Fondaction, le Fonds de développement de la Confédération des syndicats nationaux pour la coopération et l’emploi; et le Fonds de solidarité des travailleurs du Québec (F.T.Q.)
  3. Les administrateurs, dirigeants ou fiduciaires de ces fonds, même si le fonds auquel ils sont attachés n’est pas assuré en vertu d’un contrat exempté.

Dans sa version précédente, le préambule de cette disposition ne précisait pas que la dispense continuait de s’appliquer du seul fait que l’assuré se soit qualifié au moment de la souscription de la police. La version amendée répond à des soucis exprimés quant aux conséquences incertaines de la perte de la qualité donnant droit à l’exemption pendant la période de validité de la police (Ibid, p. 5). L’article 3 du Règlement précise que toutes les exemptions s’appliquent exclusivement aux contrats dont la durée n’excède pas un an. Pour bénéficier de l’exemption, les assurés devront rencontrer les conditions d’admissibilité au moment du renouvellement.

Amendement à l’exemption de l’article 2 (applicable aux assurés ne se qualifiant pas en vertu de l’article 1)

Les quatre classes suivantes d’assurés pourront souscrire une assurance exemptée s’ils se qualifient au moment de la conclusion du contrat, pourvu que leur couverture totale aux termes de toutes leurs polices d’assurance soit d’au moins 5 millions de dollars :

  1. Les assurés qui se qualifient comme grandes entreprises (qu’on décrirait sommairement comme des sociétés dont le volume de ventes taxables excède 10 millons de dollars);
  2. Les émetteurs assujettis et leurs filiales;
  3. Les entreprises inscrites comme « sociétés étrangères »;
  4. Les administrateurs, dirigeants ou fiduciaires de ces assurés, même si l’assuré auquel ils sont attachés n’est pas assuré en vertu d’un contrat exempté.

L’amendement apporté au préambule de cet article a pour effet de préciser les conséquences de la perte par un assuré de son admissibilité à une police exemptée pendant la période de validité de la police; mais il vient aussi mettre fin à certaines incertitudes qui résulteraient si deux polices ou plus composant l’ensemble dont la valeur excède 5 M$ arrivaient à échéance à des dates différentes. Il deviendra sans doute alors important de coordonner efficacement les dates de souscription et de renouvellement des polices permettant de dépasser le seuil de 5 M$. Comme l’ont fait valoir des représentants du domaine, il faudra faire preuve d’une grande prudence lorsque les polices en question seront émises par des courtiers distincts (Ibid, p. 6).

Cet article a également amendé de façon à éliminer l’exemption qu’accordait le projet de règlement aux assurés canadiens à l’égard de leurs activités exercées à l’étranger. Entre autres points, on avait soulevé la confusion qui pourrait survenir lorsqu’un assuré admissible serait visé par une action collective d’envergure nationale soulevant la responsabilité du fabricant au profit d’une classe comportant des victimes au Québec et à l’extérieur de la province.

Abolition de l’exemption pour les résidences privées pour aînés, les fournisseurs de services connexes et les résidences pour aînés, les CHSLD et les centres de réadaptation

La première mouture de l’article 3 accordait une exemption aux les résidences privées pour aînés et aux fournisseurs de soins de soutien aux aînés ou de services de nature comparable, de même qu’aux exploitants de centres d’hébergement et de soins de longue durée ou de centres d’adaptation, de façon générale. Leurs administrateurs, dirigeants et fiduciaires bénéficiaient de la même exemption. Le Règlement élimine cette exemption. Attendu que ce secteur d’activité fait l’objet d’une activité judiciaire intense à cause de la pandémie, les entités ne bénéficiant pas d’une exemption fondée sur l’article 2 continueront vraisemblablement à éprouver de la difficulté à obtenir une assurance de responsabilité à des conditions abordables.

Exception aux exemptions des articles 1 et 2 : les comités de retraite

Suivant l’article 4 du Règlement tel qu’amendé, les administrateurs, dirigeants et fiduciaires admissibles aux exemptions des articles 1 ou 2 ne peuvent bénéficier de ce régime s’ils sont par ailleurs membres d’un comité de retraite. Leurs activités en cette qualité doivent être couvertes par des polices conformes aux articles 2500 et 2503 CcQ.

Abolition de l’exemption pour l’assurance excédant le montant non exempté d’assurance principale

L’article 6 de la version antérieure accordait une exemption à un assuré qui ne pouvait invoquer les dispenses explicites des articles 1 à 3, de même qu’à ses administrateurs, dirigeants et fiduciaires, lorsque l’assuré bénéficiait d’un contrat en première ligne conforme aux articles 2500 et 2503 CcQ. Cette dispense a été éliminée en réponse aux représentations ayant soulevé que les assureurs de première ligne auraient dû faire face à un fardeau financier de défense injustement onéreux (Ibid, p. 7).

L’exception statutaire aux exemptions des articles 1 et 2

En vertu de l’article 5 du Règlement, une restriction supplémentaire vise les entités obligées de détenir un montant minimal à titre de couverture d’assurance de responsabilité civile (les membres de corporations professionnelles, par exemple). Le montant d’indemnité payable à des tiers ne peut être diminué par des paiements destinés à d’autres fins. Cette exception avait été formulée à l’article 8 du projet.

Conclusion

La version finale du Règlement a légèrement restreint le nombre d’exemptions qui avaient été formulées dans le projet. Toutefois, le régime qui en résulte entraîne une amélioration au chapitre de l’efficacité du mécanisme législatif en éliminant certaines contraintes — notamment celle qui restreignait l’érosion des limites — qui entravaient grandement l’utilité et la facilité d’application qui aurait résulté du projet.

[1] Règlement sur les catégories de contrats d’assurance et d’assurés pouvant déroger aux règles des articles 2500 et 2503 du Code civil, Décret 656-2022, 6 avril 2022, (2022) GOQ II, 2088.

[2] Voir par exemple 2021 Aon Reed Stenhouse Inc., 2021 Insurance Market Report Canada, Mid-year Review, p. 13.

[3] Catherine Piché, Perspectives de réforme de l’action collective au Québec : Rapport préparé à l’attention du ministère de la Justice du Québec, September 2019, p. 24.

[4] Voir par exemple Bureau d’assurance du Canada, Mémoire sur le projet de Règlement sur les catégories de contrats d’assurance et d’assurés pouvant déroger aux règles des articles 2500 et 2503 du Code civil, présenté à Monsieur Eric Girard, ministre des Finances, Gouvernement du Québec, p. 8.

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Auteurs

Nick Krnjevic

Avocat, associé

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