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Projet de loi « anti-briseurs de grève » : Les conséquences de C-58 sur votre entreprise, partie 1

Commentaires généraux

  1. Entrée en vigueur. Le 20 juin 2024, la Loi modifiant le Code canadien du travail et le Règlement de 2012 sur le Conseil canadien des relations industrielles (« projet de loi C-58 ») a reçu la sanction royale. Le projet de loi C-58 entrera en vigueur le 20 juin 2025.
  2. Interdiction. Le projet de loi C-58 interdit aux employeurs d’avoir recours aux services de salariés provenant d’une unité de négociation dont les membres sont visés par un arrêt de travail, soit dans le cadre d’une grève légale ou d’un lock-out. Cette interdiction comporte quelques exceptions.
  3. Pénalités. En vertu de l’art. 100.1 du Code canadien du travail (le « Code ») tel que modifié par le projet de loi C-58, tout employeur qui contrevient aux dispositions du Code interdisant l’utilisation de travailleurs de remplacement s’expose à une amende pouvant aller jusqu’à 100 000 $ par jour au cours duquel sont employés illégalement des travailleurs de remplacement.
  4. Nécessité de démontrer une intention. Le projet de loi C-58 modifie la portée de l’interdiction relative à l’utilisation de travailleurs de remplacement en supprimant la nécessité de démontrer l’intention de miner la capacité de représentation du syndicat.

Le Code tel que modifié interdit donc à l’employeur, peu importe l’intention sous-jacente qui l’anime, de faire appel aux services de certaines catégories de personnes afin d’exécuter des tâches normalement accomplies par les salariés membres de l’unité de négociation en grève ou en lock-out. Les personnes dont les services ne peuvent pas être utilisés pour accomplir de telles tâches sont les suivantes :

  1. Les employés ou les entrepreneurs (excepté les entrepreneurs dépendants) engagés après la date de remise d’un avis de négociation;
  2. Les directeurs et toute personne qui occupe un poste de confiance comportant l’accès à des renseignements confidentiels en matière de relations du travail engagés après la date de remise d’un avis de négociation;
  3. Les employés transférés, ceux qui travaillent normalement à un autre lieu de travail ou les employés d’un autre employeur;
  4. Les bénévoles, étudiants ou membres du public.

Les employeurs ont encore des options

  1. Le recours aux entrepreneurs dont les services sont déjà utilisés. Le projet de loi C-58 autorise le recours aux entrepreneurs dont les services étaient déjà utilisés avant la remise de l’avis de négociation. L’employeur peut continuer de faire appel à de tels services pendant une grève ou un lock-out à condition que l’utilisation se fasse de la même manière, dans la même mesure et dans les mêmes circonstances qu’avant la remise de l’avis (art. 94(5) du Code).

Placés dans une situation conflictuelle où la survenance d’une grève ou d’un lock-out relève de l’imminence, les employeurs peuvent faire recours aux services d’entrepreneurs afin d’exécuter les tâches qui seraient compromises par un éventuel arrêt de travail. Un tel stratagème, permis également avant la modification du Code, comporte cependant des coûts significatifs puisqu’il implique l’utilisation de travailleurs additionnels pendant un certain temps. De plus, une tactique de ce genre s’accompagne d’un risque potentiellement plus coûteux, soit celui d’envenimer d’avance le climat dans lequel se dérouleront les négociations.

  1. Le recours aux entrepreneurs dépendants. L’interdiction du recours aux travailleurs de remplacement ne s’étend pas aux services d’entrepreneurs dépendants. Les employeurs pourraient donc rétablir leur main d’œuvre même après la remise d’un avis de négociation.

L’entrepreneur dépendant est défini à l’art. 3 du Code et réfère entre autres à « la personne qui exécute, qu’elle soit employée ou non en vertu d’un contrat de travail, un ouvrage ou des services pour le compte d’une autre personne selon des modalités telles qu’elle est placée sous la dépendance économique de cette dernière et dans l’obligation d’accomplir des tâches pour elle. »

Cette définition s’articule autour de deux éléments caractéristiques d’une relation salariale typique, soit la présence d’une dépendance économique et le contrôle exercé par l’employeur sur l’accomplissement des tâches du salarié. La dépendance économique se manifeste notamment par une exclusivité totale ou quasi totale dans la prestation de services.

La notion d’entrepreneur dépendant est une notion complexe. Il serait sage pour les employeurs désirant avoir recours aux services d’entrepreneurs dépendants d’examiner attentivement les clauses de leurs ententes, afin de s’assurer qu’elles ne tombent pas sous la portée des modifications apportées par le projet de loi C-58.

Le mot de la fin

  1. Les syndicats l’estiment trop permissif, les employeurs le jugent trop restrictif. Somme toute, le projet de loi C-58 risque de nuire indûment à la concurrence au Canada. En jetant son poids dans la balance, le Parlement canadien porte inutilement atteinte au délicat équilibre qui sous-tend les relations industrielles au pays. Par ailleurs, il est difficile de comprendre ce qui justifie la décision du Parlement de s’éloigner des exemples législatifs « anti-briseurs de grève » provenant du Québec et de la Colombie-Britannique.
  2. Le prochain billet de notre série traitera en détail certaines des dispositions du projet de loi C-58, en le mettant en relief avec le modèle législatif québécois.
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Auteurs

Pierre E. Moreau

Avocat, associé

Emmanuel Cigana

Étudiant

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