Le 3 février dernier, dans l’affaire Bolduc c. SSQ Assurance, 2023 QCCS 266, la Cour supérieure a de nouveau rappelé au monde de l’assurance que le respect strict des règles liées à la rédaction des clauses d’exclusion, notamment en cas de suicide, est essentiel pour éviter de fâcheuses conséquences aux assureurs.
Les faits en litige
Le 23 novembre 2006, François Roch (« Roch ») souscrit auprès de SSQ Assurance (« SSQ ») à une police d’assurance vie de 1.5 million de dollars de type « T-10 » (« Contrat T-10 »), expirant le 22 novembre 2016. À l’approche de l’échéance, il rencontre son courtier d’assurances et convient de souscrire un nouveau contrat d’assurance vie temporaire de type « T-20 » (« Contrat T-20 »), entrant en vigueur le 23 octobre 2016.
Le Contrat T-20, comme le Contrat T-10, stipule dans la section « Conditions générales » une clause d’exclusion de garantie d’assurance en cas de suicide dans les deux années suivant l’entrée en vigueur de la police d’assurance :
SUICIDE
« Si, pendant les deux (2) années qui suivent la date d’entrée en vigueur d’une garantie, l’assuré meurt de sa propre main ou de son propre fait, qu’il soit sain d’esprit ou non, l’obligation de la Compagnie est limitée au paiement d’une prestation de décès équivalente au remboursement des primes versées pour cette garantie, sans intérêt. »
Le 19 février 2018, soit moins de 16 mois après la date d’entrée en vigueur du nouveau, Roch s’enlève la vie dans de tristes circonstances.
La Cour supérieure doit alors déterminer si la clause d’exclusion est valide et opposables aux bénéficiaires de la police d’assurance.
Les exclusions doivent être regroupées sous un titre approprié
La Cour rappelle d’abord les prescriptions de l’article 2404 C.c.Q. :
En matière d’assurance de personnes, l’assureur ne peut invoquer que les exclusions ou les clauses de réduction de la garantie qui sont clairement indiquées sous un titre approprié.
À l’analyse de l’historique entourant son adoption, le juge Lalonde conclut que l’objectif législatif de cette disposition est de faciliter le repérage des clauses d’exclusion et de réduction de garantie pour le preneur d’assurance.
Cette disposition doit être lue en juxtaposition avec l’article 2441 C.c.Q., qui prévoit ce qui suit :
2441. L’assureur ne peut refuser de payer les sommes assurées en raison du suicide de l’assuré, à moins qu’il n’ait stipulé l’exclusion de garantie expresse pour ce cas. Même alors, la stipulation est sans effet si le suicide survient après deux ans d’assurance ininterrompue.
Toute modification du contrat portant augmentation du montant d’assurance est, en ce qui a trait au montant additionnel, sujette à la clause d’exclusion initialement stipulée pour une période de deux ans d’assurance ininterrompue s’appliquant à compter de la prise d’effet de l’augmentation.
Selon le juge, cette disposition reconnaît l’intérêt légitime des assureurs de se protéger contre un preneur d’assurance qui souscrirait à une assurance dans l’unique dessein de mettre à exécution un projet de suicide.
Néanmoins, il en demeure que cette « exclusion de garantie expresse » doit être répertoriée sous un titre appropriée indiquant clairement toutes les exclusions et les réductions de garantie. Le lecteur de la police d’assurance doit pouvoir lire la police et être confiant que toutes les clauses d’exclusion sont regroupées sous un même titre, sans qu’il ait à chercher ailleurs dans la police.
En l’espèce, la clause de suicide se trouve dans la section « Dispositions générales » du Contrat T-20. Son libellé ne parle pas d’une exclusion, mais d’une limitation de l’indemnité payable. Elle n’est pas non plus incluse dans la section distincte qui regroupe les autres clauses d’exclusion.
L’essence de la mise en garde exigée par le législateur à l’article 2404 C.c.Q. n’est donc pas respectée et la clause est nulle et sans effet, même si elle est claire, ne soulève aucune ambiguïté et n’est pas abusive.
La continuité du contrat d’assurance est une question de contexte
Afin de déterminer si le suicide est survenu dans les deux premières années de l’assurance (art. 2441 C.c.Q.), le tribunal doit déterminer s’il y a eu continuité ou remplacement du Contrat T-10. Pour ce faire, le juge Lalonde rappelle qu’il doit se livrer à une analyse contextuelle visant à déterminer l’intention des parties.
Le tribunal retient notamment les éléments suivants :
- Les deux contrats sont identifiés par des numéros de police différents;
- Roch ne s’est pas prévalu de l’option prévue au Contrat T-10 de le transformer en garantie pour la vie;
- Le préavis de remplacement signé par Roch indique clairement qu’il désire remplacer son Contrat T-10 afin de souscrire au nouveau Contrat T-20;
- Ce préavis explique que cette décision remet le compteur à 0 en ce qui concerne le délai de deux ans prévu aux clauses de suicide et d’incontestabilité;
- Roch a signé une nouvelle proposition d’assurance avec le titre « annulation et remplacement interne intégral » du Contrat T-10;
- Afin d’être assuré pendant 20 ans aux termes d’un renouvellement du Contrat T-10, Roch aurait dû débourser des primes correspondant à plus du double de ce qu’il a dû débourser pour son Contrat T-20.
À la lumière de ces circonstances le tribunal conclut à l’intention sans équivoque de SSQ et Roch, au moment de la souscription, de procéder à l’annulation complète du Contrat T-10 en faveur du Contrat T-20.
Comme il y a une rupture de la continuité temporelle entre les deux contrats, le décès par suicide de Roch n’est pas survenu après plus de deux ans d’assurance ininterrompue auprès de SSQ. Ceci est toutefois sans conséquence, puisque la clause d’exclusion est nulle et sans effet.
La computation des intérêts débute dans les 30 jours de la réception de la justification
La Cour rappelle finalement qu’en matière d’assurance de personnes, l’assureur doit payer l’indemnité d’assurance dès la réception des pièces justificatives, comme le prévoit l’article 2436 C.c.Q. :
L’assureur est tenu de payer les sommes assurées et les autres avantages prévus au contrat, suivant les conditions qui y sont fixées, dans les 30 jours suivant la réception de la justification requise pour le paiement.
Toutefois, ce délai est de 60 jours lorsque l’assurance porte sur la maladie ou les accidents, à moins que l’assurance ne couvre la perte de revenus occasionnée par l’invalidité.
Dans ce cas, la documentation, est transmise le 18 juin 2018. Bien qu’un rapport du coroner est manquant, le tribunal retient que SSQ peut obtenir tout renseignement ou document manquant grâce à l’autorisation signée par l’administrateur de la succession.
Par conséquent, le 19 juillet 2018, SSQ est en demeure de plein droit de payer l’indemnité d’assurance de 1 500 000 $, ce qui marque le point de départ de la computation de l’intérêt et de l’indemnité additionnelle sur cette somme.