Le fabricant ou le vendeur d’un produit de nettoyage corrosif doit-il informer le consommateur de ses risques et dangers, même si le produit n’est affecté d’aucun vice? C’est la question à laquelle a répondu le juge Alain Michaud de la Cour supérieure dans l’affaire récente de La Capitale assurances générales inc. c. Construction McKinley inc., 2023 QCCS 419.
Les faits
La Capitale assurances générales réclamait le remboursement de l’indemnité de plus de 137 000$ payée à ses assurés à la suite d’un dégât d’eau survenu dans leur résidence le 2 février 2017. La Capitale poursuivait ainsi l’entrepreneur général ayant construit la résidence en 2012, le distributeur du robinet dont un conduit flexible a cédé, ainsi que le fabricant d’un produit de marque Lysol, dont les émanations de chlore ont altéré le tuyau flexible.
Les assurés de la Capitale entreposaient dans le cabinet fermé sous le lavabo de leur salle de bain le produit Lysol Advanced, un nettoyant à cuvette, qu’ils achetaient chez Costco. Les experts sollicités par les parties à la suite du sinistre ont tous conclu que la gaine tressée d’acier inoxydable du conduit flexible du robinet s’est dégradée par un phénomène de corrosion résultant de l’émanation de vapeurs de chlore du produit Lysol Advanced, qui contenait une teneur concentrée (12%) d’acide chlorhydrique, un composé chimique très corrosif pour tout métal se trouvant à proximité.
Avant d’analyser la responsabilité des parties impliquées, la Cour souligne que l’obligation d’information trouve pour fondement les articles 1468 et 1469 du Code civil du Québec se rapportant au défaut de sécurité du bien. En outre, le robinet en cause ayant été vendu à des consommateurs, l’obligation d’information est aussi prévue au second alinéa de l’article 53 de la Loi sur la protection du consommateur (RLRQ, P-40.1). La Cour conclu a une responsabilité in solidum du fabricant et du distributeur.
La responsabilité du fabricant
Citant la Cour suprême Lambert c. Lastoplex Chemicals, 1971 CanLII 27 (CSC), la Cour rappelle que lorsque des produits fabriqués sont mis sur le marché pour être finalement achetés et utilisés par le grand public et qu’ils sont dangereux, même s’ils sont utilisés pour les fins auxquelles ils sont destinés, le fabricant est tenu, connaissant le risque, de préciser les dangers concomitants pouvant naître de leur utilisation, puisqu’il faut présumer qu’un fabricant est plus apte à apprécier les dangers de son produit que le consommateur ou l’usager ordinaire. En somme, un avertissement général ne suffit pas.
Or, l’étiquette du produit Lysol Advanced mentionnait seulement de « Garder le contenant fermé hermétiquement dans un endroit frais et bien aéré », rien de plus. Se fondant sur les indications livrées par la Cour d’appel dans l’arrêt Imperial Tobacco Canada ltée c. Conseil québécois sur le tabac et la santé, 2019 QCCA 358, la Cour a établi que le fabricant du produit Lysol Advance avait manqué à son obligation de fournir l’information précise et complète ou une mise en garde ou un mode d’emploi suffisants pour que l’utilisateur réalise pleinement le danger et le risque associés à l’usage du bien, soit le risque que les vapeurs de chlore émanant du produit Lysol Advanced dégradent significativement les métaux se trouvant à proximité, tels les raccords en acier inoxydable du robinet en litige. (Nos soulignements)
Le fabricant a plaidé que les assurés de La Capitale étaient responsables de leur propre malheur, car ils n’auraient pas respecté les consignes inscrites sur l’étiquette du produit Lysol Advanced. Or, la Cour a rappelé que pour s’exonérer, le fabricant devait être en mesure de démontrer que la victime avait une idée précise et complète du danger et du risque qui y est associé et, de même, qu’elle était informée des mesures à prendre pour y faire face ou s’en prémunir. Or, il a été démontré que les assurés de La Capitale ignoraient les risques que représentaient les émanations de chlore du produit Lysol Advanced et cette situation découlait indéniablement de la contravention du fabricant à son obligation de renseignement. La Cour n’a donc pas retenu cet argument. D’ailleurs, la Cour a rappelé que l’examen des risques d’un bien par un consommateur doit être évalué selon le standard du consommateur moyen, soit une personne crédule et inexpérimentée, qui est peu élevé.
Ainsi, la Cour a conclu que le défaut du fabricant du produit Lysol Advanced d’inscrire sur l’étiquette du contenant une information exacte, compréhensible et complète quant aux dangers spécifiques présentés par le caractère très corrosif du produit devait être considéré comme l’élément causal le plus déterminant dans la survenance du sinistre et lui a attribué 75% de la responsabilité.
La responsabilité du distributeur
La Cour a d’entrée de jeu conclu que le robinet et ses raccords n’étaient affectés d’aucun vice, notamment puisqu’il n’était pas raisonnable de penser que les conditions normales d’utilisation de ceux-ci comportaient une composante d’environnement corrosif. Elle n’a donc pas retenu la responsabilité du distributeur à ce titre.
Quant à l’obligation d’information, le distributeur plaidait qu’elle ne lui appartenait pas, puisque le produit corrosif dangereux, le Lysol Advanced, n’était pas le sien. Or, la Cour n’a pas été de cet avis. La preuve a démontré que le distributeur du robinet savait depuis juillet 2014 que les raccords flexibles des robinets vendus étaient particulièrement sensibles à la corrosion. Le distributeur avait d’ailleurs commencé à dresser l’inventaire des sinistres provoqués par cette incompatibilité des deux produits en cause. Après la survenance d’une dizaine de sinistres, il a ajouté en 2015 un avis sommaire à ses instructions d’installation, mais aucune action n’a été entreprise par la suite concernant les robinets déjà vendus, alors que ces produits avaient une durée de vie d’environ 15 à 20 ans. La Cour a alors déterminé que le distributeur avait fait preuve d’une certaine négligence dans son devoir d’information lorsqu’il avait eu connaissance de l’existence de ce défaut, selon les prescriptions de l’article 1473 alinéa 2 C.c.Q, et lui a attribué 25% de la responsabilité.
La responsabilité de l’entrepreneur
Quant à l’entrepreneur, la Cour a déterminé que sa responsabilité ne pouvait être retenue. D’une part, l’entrepreneur se qualifiait comme un vendeur professionnel d’ouvrages immobiliers, mais pas comme un vendeur spécialisé à l’égard de tous les accessoires pouvant être incorporés à la résidence, comme le robinet en cause. La Cour a précisé qu’il existait une différence significative entre, par exemple, le béton employé pour la coulée des fondations, nécessaire à l’exécution du contrat, et l’accessoire de robinetterie qui gère l’écoulement de l’eau. Ce faisant, la présomption de connaissance d’un vice affectant le robinet, s’il en est un, pouvait être repoussée. D’autre part, puisque l’entrepreneur n’était pas légalement présumé connaître le vice pouvant affecter le robinet, la Cour a déterminé qu’on ne pouvait lui imputer un devoir d’information ou de divulgation.