Le 11 août dernier, la Cour d’appel du Québec a rejeté l’appel et confirmé la décision de la juge de première instance qui déclarait la compagnie CGF Construction Inc. (« l’employeur ») coupable de négligence criminelle causant la mort1. La victime en question, un camionneur avec plus de 25 ans d’expérience, est décédée après avoir perdu le contrôle du camion lourd porte-conteneurs appartenant à l’employeur qui s’est renversé dans le virage d’une pente descendante. La preuve au procès a démontré que l’employeur avait omis de procéder à un entretien approprié du camion et de son système de freinage dans les mois précédents l’accident fatal, omission qui révélait une insouciance téméraire ou déréglée pour la vie ou la sécurité d’autrui et qui a causé de manière plus qu’appréciable le décès de la victime.
Négligence dans l’entretien du camion
Rappelons d’emblée que l’employeur a un devoir légal de prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité et l’intégrité physique et psychique de ses travailleurs en vertu de l’art. 51 de la Loi sur la santé et la sécurité au travail. Plus particulièrement en matière de transport, tout propriétaire est tenu de maintenir ses véhicules lourds en bon état mécanique et respecter les normes d’entretien, la fréquence et les modalités des vérifications établies par règlement suivant l’art. 519.15 du Code de la sécurité routière.
En l’occurrence, le procès a révélé que le système de freinage du camion en question était dans un état d’usure avancé, les freins ne fonctionnant qu’à 53 % de leur capacité maximale. Qui plus est, les problèmes mécaniques du camion étaient connus de l’employeur. En effet, les défectuosités majeures constatées sur le véhicule après l’accident, mais préexistantes à celui-ci, étaient au nombre de 14 en lien avec les freins. Ces défectuosités résultaient de manquements importants lors des entretiens et réparations effectués sur le camion, qui l’ont rendu « intrinsèquement dangereux »2. Il appert de plus que le conducteur en question ainsi que d’autres collègues avaient averti à plusieurs reprises les représentants de l’employeur de l’état de détérioration du camion. Ces éléments pris ensemble ont permis à la juge du procès de conclure à la négligence criminelle de l’employeur dans l’entretien du camion qui n’aurait pas dû retrouver sur la route dans de telles circonstances.
La Cour d’appel souligne d’ailleurs que « (…) dans un domaine d’activité aussi fortement réglementé et dangereux, on pouvait s’attendre à ce que [l’employeur] veille à l’entretien de ses véhicules, tout comme l’aurait fait une personne raisonnable exerçant la même activité dans les mêmes circonstances »3.
Responsabilité pénale et criminelle de l’entreprise
Pour évaluer la prévisibilité de l’infraction et le degré de négligence ou l’absence de diligence de la part de l’employeur et ainsi conclure à sa culpabilité, le Tribunal peut tenir compte notamment des incidents passés de l’entreprise en lien avec le camion en question ainsi son attitude face aux problématiques antérieures et les moyens mis en œuvre pour les résoudre. Ces éléments de preuve peuvent provenir non seulement des mois précédant l’accident, mais peuvent également remonter à plusieurs années avant l’accident puisqu’en l’occurrence cette preuve démontrait que l’employeur connaissait le problème affligeant l’entretien du camion ainsi que ses freins et faisait également la lumière sur les moyens mis en œuvre pour le résoudre. En l’espèce, certains employés, anciens et actuels, ont témoigné notamment sur l’environnement et leurs conditions de travail inadéquates ainsi que sur les défaillances au niveau de la sécurité au garage et sur l’état du camion au fil des ans.
Rappel concernant la responsabilité pénale et criminelle des entreprises
Rappelons que depuis 2004, suivant l’adoption du projet de loi Westray et la modification du Code criminel qui s’en est suivie, la responsabilité pénale et criminelle des entreprises peut être engagée pour les actes ou omissions en milieu de travail de leurs représentants4. En effet, une personne au sein de l’entreprise qui dirige le travail d’une autre personne a l’obligation de prendre des mesures raisonnables pour éviter la survenance de blessures corporelles, sans quoi la responsabilité de l’entreprise pourrait être engagée5. De surcroît, le cadre supérieur responsable de l’aspect pertinent des activités de l’entreprise peut également engager la responsabilité de cette dernière s’il n’a pas agi comme une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances pour empêcher un représentant de l’entreprise de commettre un crime6. Force est de constater qu’un degré de diligence supplémentaire de la part de tout employeur est nécessaire afin d’éviter d’engager sa responsabilité par l’entremise des actes ou omissions de ses représentants.
Dans le dossier de CGF Construction Inc., le contremaître-mécanicien responsable du garage était un « cadre supérieur » et sa faute, résidant dans l’omission d’entretenir le camion de manière appropriée et plus particulièrement ses freins, a été imputée à la compagnie, d’où la présente déclaration culpabilité contre CGF Construction Inc.
En plus de coûter la vie d’un de ses employés, cette omission d’entretien de la part du mécanicien a également coûté à la compagnie une amende de 300 000 $, en plus d’une suramende compensatoire de 15% de ce montant et d’une ordonnance probatoire de 3 ans assortie de plusieurs conditions, notamment celle de retenir les services d’un consultant externe et de dispenser une formation annuelle à tous ses employés sur les obligations et les responsabilités des utilisateurs et exploitants de véhicules lourds.
Ce qu’il faut retenir
Cet arrêt de la Cour d’appel se veut un rappel de l’importance pour tout employeur de prendre tous les moyens nécessaires en temps opportun pour assurer la santé, la sécurité et l’intégrité physique de ses travailleurs et adopter une approche proactive lorsque des préoccupations liées à leur santé et sécurité sont portées à sa connaissance. Aucune négligence ou insouciance grave ne sera tolérée d’un employeur qui a le devoir de prévenir de tels accidents en veillant à ce que les mesures mises en place pour assurer la santé et la sécurité de ses travailleurs soient à la fois suffisantes et respectées par tous ses employés.
Pour en savoir davantage et pour toutes questions reliées à vos relations contractuelles avec des travailleurs qualifiés d’autonomes et/ou incorporés, n’hésitez pas à communiquer avec notre équipe.
[1] CFG Construction inc. c. R., 2023 QCCA 1032.
[2] R. c. CFG Construction inc., 2019 QCCQ 1244, au para 277.
[3] Supra, note 1, au para 98.
[4] Code criminel, LRC 1985, c C-46, art. 22.1.
[5] Ibid, art. 117.1
[6] Ibid, art. 217.1.