Une importante décision sur l’obligation de diligence et de transparence des fabricants
La Cour d’appel rendait récemment un jugement étoffé dans l’affaire CCI Thermal Technologies Inc. c. AXA XL (XL Catlin), 2023 QCCA 231, concernant la responsabilité du fabricant et le partage de responsabilité entre les intervenants. Cette affaire avait pour trame de fond vingt incendies distincts causés par la défaillance d’éléments chauffants fabriqués par CCI et incorporés dans des chaufferettes fabriquées par trois différents manufacturiers (les « manufacturiers »), puis vendues à des tiers.
Les parties avaient convenu d’indemniser les tiers ayant subi des dommages lors des incendies dans un premier temps et de faire le débat concernant le partage de responsabilité applicable entre elles dans un deuxième temps. Les assureurs des manufacturiers alléguaient que CCI et ses assureurs devaient assumer 100 % de l’indemnité versée aux tiers, et CCI et ses assureurs plaidaient la même chose à l’encontre des assureurs des manufacturiers.
Les assureurs des manufacturiers ont eu gain de cause en première instance, ayant convaincu la Cour supérieure que CCI et ses assureurs devaient assumer l’entière responsabilité des dommages versés aux tiers.
La Cour d’appel apporte des nuances intéressantes et en vient à la conclusion que la responsabilité des manufacturiers, bien que moindre que celle de CCI, ne peut être complètement écartée.
Les faits pertinents
Pour bien comprendre les conclusions de la Cour d’appel, il convient de résumer certains faits :
- Les premiers incendies causés par la défaillance des éléments chauffants fabriqués par CCI et intégrés aux chaufferettes des manufacturiers surviennent les 25 janvier, 11 mars et 13 avril 2007;
- Le 14 novembre 2007, une rencontre est organisée entre des représentants de l’Association canadienne de normalisation (la « CSA »), de CCI et des manufacturiers pour tenter d’identifier l’origine des incendies. La problématique avec l’élément chauffant est alors identifiée comme un élément critique nécessitant une analyse approfondie;
- La preuve établit toutefois que CCI connaissait la problématique depuis plusieurs années et ne l’avait pas révélée;
- En décembre 2008, la CSA diffuse un communiqué proposant des conseils pour éviter la défaillance et en janvier 2009, elle modifie sa norme concernant les radiateurs électriques;
- Plusieurs autres incendies sont survenus, jusqu’en 2015.
L’analyse de la Cour d’appel
Référant aux arrêts ABB inc. c. Domtar inc., 2007 CSC 50 et CNH Industrial Canada Ltd. c. Promutuel Verchères, société mutuelle d’assurances générales, 2017 QCCA 154, la Cour rappelle certains principes applicables en matière de garantie contre les vices cachés. D’emblée, elle rejette les arguments mis de l’avant par CCI à l’effet que les éléments chauffants n’étaient pas atteints d’un vice caché au moment de la vente aux manufacturiers. En plus de la preuve à cet égard, elle rappelle que puisque CCI est fabricant et vendeur professionnel des éléments chauffants, l’existence du vice au moment de la vente est présumée. Elle souligne, par ailleurs, que le fabricant est « l’expert ultime » de son produit, qu’il est assujetti à la présomption de connaissance « la plus rigoureuse » et à l’obligation de dénoncer le vice « la plus exigeante » et qu’il ne peut réfuter sa présomption de connaissance qu’en établissant qu’il ignorait le vice et que cette ignorance était justifiée. Les manufacturiers étaient bien fondés de tenir pour acquis que les produits fabriqués et vendus par CCI respectaient les normes applicables.
CCI met de l’avant un autre argument, selon lequel les incendies résulteraient d’une conception fautive des chaufferettes par les trois manufacturiers, vu leur omission d’incorporer un mécanisme permettant d’éviter la survenance d’un court-circuit dans l’élément chauffant. Or, la Cour considère que puisque les manufacturiers ignoraient que l’élément chauffant était affecté d’un vice, on ne peut leur reprocher de ne pas avoir conçu un mécanisme de protection thermique pour éviter la défaillance catastrophique. Jusqu’en 2007, la conception des chaufferettes était raisonnable et prudente compte tenu de la qualité et de la conformité attendues des éléments chauffants acquis de CCI.
Qu’en est-il toutefois de la période postérieure à 2007 ? CCI plaide que le défaut des manufacturiers d’aviser le public du danger lorsque celui-ci a été porté à leur connaissance constituerait un novus actus interveniens ou, à tout le moins, une faute contributoire.
Dans un premier temps, la Cour refuse de considérer l’omission des manufacturiers comme un novus actus interveniens, qui supposerait un bris complet du lien de causalité entre le vice affectant les éléments fabriqués par CCI et les incendies. Dans un deuxième temps, elle retient toutefois une faute contributoire justifiant qu’une part de responsabilité soit imputée aux manufacturiers. Les grands principes qui se dégagent de son analyse se résument comme suit :
- Lorsqu’ils ont pris connaissance du vice, les manufacturiers ne pouvaient se limiter à effectuer des démarches auprès de leurs distributeurs pour tenter de récupérer l’inventaire des chaufferettes problématiques en leur possession;
- Un rappel public, ou d’autres mesures afin de tenter de prévenir les tiers acheteurs du danger (par exemple, des communications dans les médias), étaient requis;
- Les manufacturiers devaient agir avec diligence. Un délai injustifié entre la connaissance du vice et l’émission d’un avis public entraîne la responsabilité du manufacturier pour les incendies survenus durant cette période.
La décision
En application de ces principes, la Cour retient la responsabilité des manufacturiers pour les incendies liés à leurs chaufferettes et survenus entre 2007 (date de connaissance du vice) et 2009 (émission des avis publics). Leur responsabilité n’est pas retenue pour les incendies survenus avant qu’ils n’aient connaissance du vice ni après l’émission des avis publics.
La Cour précise néanmoins que la responsabilité de CCI doit prédominer, vu la gravité du vice et son omission de le divulguer aux manufacturiers alors qu’elle le connaissait depuis de nombreuses années. Elle doit assumer 100 % de la responsabilité pour les incendies survenus avant 2007 et après 2009, et 80 % pour les incendies pour lesquels une faute contributoire des manufacturiers est identifiée. La part de responsabilité de responsabilité des manufacturiers est donc fixée à 20 %.
Cette décision rappelle le lourd fardeau qui pèse sur le fabricant et l’importance d’être proactif suivant la connaissance du vice.