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SNC-Lavalin inc. c. Deguise : L’omission des assurés de déclarer tous les faits pertinents au risque

Le 6 avril, la Cour d’appel du Québec rendait sa décision dans SNC-Lavalin inc. (Terratech inc. et SNC-Lavalin Environnement inc.) c. Deguise, 2020 QCCA 495.

Compte tenu de l’importance de cette décision tant pour l’industrie de la construction que pour celle de l’assurance, RSS a entrepris de brosser un portrait des règles qui y sont illustrées. Le présent texte constitue un des volets du tableau complet que l’on trouvera ici.

L’« affaire de la pyrrhotite » a entrainé de multiples litiges dans lesquels les demandeurs alléguaient l’existence d’un vice affectant la solidité des fondations de leur immeuble et dû à la présence de pyrrhotite dans le béton.

En fait, la pyrrhotite était contenue dans les granulats qui provenaient de la carrière appartenant à Carrière B&B [« B&B »]. Les granulats étaient utilisés par les bétonnières Construction Yvan Boisvert inc. [« CYB »] ou Béton Laurentides inc. [« BL »] [« les bétonnières »] qui ont ensuite livré le béton. Les bétonnières ont été poursuivies, ainsi que les entrepreneurs, les coffreurs, les propriétaires des carrières et le géologue ayant analysé l’agrégat en cause.

Les assureurs des bétonnières et de B&B (Société d’assurance Générale Northbridge [« Northbridge »] et Compagnie d’Assurance AIG du Canada [« AIG »] ont soulevé l’argument à l’effet que leurs assurés avaient omis de les informer qu’il existait un problème avec l’usage du granulat et que cela entrainait la nullité des couvertures d’assurance.

Northbridge assurait la responsabilité civile de BL et de B&B de 2004 à 2009. Pour cette même période, AIG était l’assureur excédentaire de BL. Northbridge assurait également CYB à partir d’avril 2009 jusqu’au 31 mars 2010.

Par ailleurs, Northbridge avait assuré Carrière Maskimo inc. [« Maskimo »], une concurrente de B&B, pour la période de septembre 2002 à septembre 2007 et AIG assurait également la responsabilité d’un laboratoire poursuivi avec Maskimo.

La carrière de B&B était située à proximité de celle appartenant à Maskimo. Or, cette dernière avait vendu dans les années 1990 des granulats pour des fondations qui furent construites de 1996 à 1998. Par la suite, une trentaine d’actions furent intentées contre Maskimo, où les demandeurs alléguaient que la dégradation du béton de leur fondation était liée à la présence de pyrrhotite dans les granulats.

En conséquence, dès la fin de 2001, l’existence d’un problème lié au gonflement du béton semblait notoire. D’ailleurs, dans les causes contre Maskimo, le juge avait reconnu que les problèmes vécus par Maskimo avaient une « notoriété certaine », et ce, dès l’automne 2003.

Or, en 2003, les bétonnières ont commencé à utiliser les granulats vendus par B&B. Durant les années suivantes, des analyses sur des échantillons des granulats ont été réalisées par le géologue défendeur qui concluait que les granulats provenant de la carrière de B&B pouvaient être utilisés. En 2005 cependant, d’autres experts avaient émis des opinions divergentes. Ce n’est qu’en novembre 2007 que le géologue a conclu que le granulat ne devait plus être utilisé.

Le jugement de la Cour supérieure

Le juge a fait l’analyse de faits connus par les assureurs et les assurés. Il a conclu que les assureurs connaissaient les risques associés aux phénomènes de gonflement des granulats au moment de la souscription du risque puisqu’ils avaient traité les réclamations des poursuites contre Maskimo et un laboratoire qu’ils assuraient. Ils savaient également qu’il existait un problème relié à la pyrrhotite dans la région de Trois-Rivières et que les experts divergeaient d’opinion sur la cause du gonflement. Enfin, ils connaissaient le rapport d’analyse d’un expert émis en 2002 qui concluait que les granulats de B&B, qui avaient la même composition chimique que ceux de Maskimo, pourraient causer le même type de problème.

Ainsi, le juge estima que les assureurs étaient suffisamment informés de l’existence du problème et qu’ils avaient d’ailleurs discuté de la question d’ajouter une clause d’exclusion de pyrite au moment du renouvellement.

Quant aux assurés, le juge conclut qu’en 2002, ils ne savaient pas qu’il existait un problème provenant de l’utilisation des granulats de B&B. Les assurés avaient d’ailleurs obtenu des analyses qui n’avaient pas conclu que les granulats ne pouvaient être utilisés.

Or, même si le juge fut d’avis que les assurés auraient dû communiquer aux assureurs le rapport en 2002, il conclut que cette réticence n’était pas suffisamment importante puisque les assureurs connaissaient de toute façon l’existence de la situation vu son implication dans les dossiers Maskimo et la notoriété des problèmes causés par les granulats.

Cependant, le juge estima que les assurés ont fait preuve de réticence en ne divulguant pas aux assureurs le rapport de novembre 2017 du géologue qui concluait de ne plus utiliser les granulats de la carrière de B&B. En conséquence, le juge a déclaré la nullité ab initio des polices d’assurance à partir du 1er décembre 2007 pour Northbridge et du 1er février 2008 pour AIG.

Le jugement de la Cour d’appel

En appel, les assureurs ont prétendu que le juge a commis trois erreurs dans son jugement : il aurait analysé des faits postérieurs aux dates de souscription; il n’aurait pas dû conclure que certains faits étaient « notoires »; et il leur aurait imposé une norme d’enquête outrepassant leurs obligations. AIG a également prétendu que le juge a confondu sa connaissance à celle de Northbridge qui était l’assureur primaire. Enfin, les assurés ont prétendu que la Cour n’aurait pas dû annuler leur couverture en 2007 et 2008.

L’erreur sur la méthode d’analyse du juge

La Cour d’appel rejeta l’argument quant à la méthode d’analyse des faits. Elle confirma que puisque Northbridge avait renouvelé sa police en 2007 sans limiter la protection, alors qu’il connaissait l’existence de la problématique liée aux granulats depuis 2002, il ne pouvait prétendre qu’en 2003, lors de la délivrance de la première police, que les assurés avaient faits des réticences. Cet argument ne valait pas non plus pour le renouvellement des polices de 2006 et 2007.

Les faits connus de l’assureur

Quant à l’existence de faits notoires, la Cour d’appel confirma également que Norbthridge avait une connaissance réelle des faits et non simplement une connaissance présumée, puisqu’entre avril 2003 et septembre 2007, il fut l’assureur de Maskimo, de BL et de B&B.

Le devoir d’enquête de l’assureur

Les assureurs prétendaient que leur devoir d’enquêter était minimal et ne visait que les faits notoires ou qui ne concernaient que leurs assurés. La Cour d’appel rejeta cet argument et confirma plutôt la conclusion du juge à l’effet que Northbridge n’avait pas respecté ses propres directives de souscription. La Cour rappela également la règle qui avait été énoncée par la Cour suprême du Canada dans Coronation Insurance Co. c. Taku Air Transport Ltd. à l’effet que les assurés ne sont pas tenus de fournir des informations qui sont généralement disponibles, et que l’assureur a l’obligation de s’informer sur les circonstances courantes de l’industrie de son assuré, ce que Northbridge n’avait pas fait.

La connaissance de l’assureur excédentaire

AIG, assureur excédentaire, prétendait que les assurés BL et B&B ne lui avaient pas transmis toutes les informations pertinentes au risque et prétendait que l’on ne pouvait lui attribuer la connaissance de l’assureur primaire Northbridge.

La Cour d’appel rejeta ces arguments. Tout d’abord, la Cour estima que le juge de première instance n’avait pas confondu la connaissance d’AIG avec celle de Northbridge. Or, il appert que AIG ne s’était pas préoccupé des pertes rapportées par le courtier, ni des dossiers pour lesquels il avait déboursé la totalité de sa garantie et qui comportaient des expertises concernant la présence de pyrite dans le contexte de Maskimo. La Cour d’appel conclut que l’assureur excédentaire ne s’était pas comporté comme un assureur raisonnable dans l’évaluation du risque de BL et B&B. Ses souscripteurs n’avaient pas de directives écrites et l’appréciation du risque était subjective. De plus, la Cour estima que rien ne justifiait AIG de s’être s’adressé uniquement au courtier. AIG a donc omis d’obtenir auprès des assurés et du courtier les renseignements les plus élémentaires sur les opérations de ses assurés.

La nullité à partir de 2007–2008

La Cour d’appel a confirmé la décision du juge de première instance d’annuler à compter du 1er décembre 2007 et du 1er février 2008 les polices d’assurances émises par Northbridge et AIG. En effet, selon la Cour, le géologue avait finalement recommandé, dans son rapport de novembre 2007, de cesser complètement l’utilisation des granulats de B&B. Or, la divulgation de ce rapport correspondait au moment où les assureurs devaient faire leur évaluation des risques pour décider du renouvellement des polices. Ainsi, les assurées auraient dû leur communiquer le rapport. Cela constituait donc une réticence, entraînant la nullité des polices d’assurances.

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