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Qu’est-ce qui constitue une interruption de prescription ?

La décision dans Ballard c. Ville de Gatineau, 2021 QCCS 3695, rendue tout récemment par la Cour supérieure, porte sur l’effet de la reconnaissance d’un droit par la partie défenderesse sur la prescription extinctive.

Les prétentions des parties

Le litige prend forme suivant l’émission de deux avis d’infraction par la Ville relativement aux travaux de remblai effectués par les demandeurs sur leur terrain. Les demandeurs soutiennent que ces avis ne sont pas valides. Ultérieurement, la Ville renonce à entreprendre toute poursuite pénale. Les demandeurs poursuivent donc la Ville pour abus de droit et pour les dommages découlant de l’arrêt des travaux suivant l’émission des avis.

Au soutien de sa position, la Ville allègue que les avis avaient légitimement été émis et que la renonciation à déposer des procédures pénales en lien avec ces avis relevait de sa seule discrétion. Dans ces circonstances, les demandeurs n’auraient aucune preuve prépondérante d’une faute causale de leurs dommages. Au surplus, la défenderesse soulève la prescription du recours des demandeurs en vertu du délai de six mois prévu à l’article 586 de la Loi sur les cités et villes.

Les demandeurs soulèvent toutefois l’interruption de la prescription au motif que la Ville aurait reconnu le droit revendiqué par les demandeurs. Ils soutiennent notamment qu’à l’occasion de sa renonciation à entreprendre des procédures pénales en lien avec les avis d’infraction et en informant les demandeurs de la marche à suivre pour formuler une réclamation, la Ville aurait reconnu leurs droits et, par conséquent, aurait interrompu la prescription.

La prescription du recours

Selon l’article 2898 du Code civil du Québec, « [l]a reconnaissance d’un droit, de même que la renonciation au bénéfice du temps écoulé, interrompt la prescription ». Le Tribunal rappelle les principes dégagés par la Cour d’appel dans l’arrêt Poirier c. Gravel, 2015 QCCA 1656 : la partie qui peut bénéficier de cette interruption, soit le créancier, doit démontrer une intention claire et non équivoque de la part du débiteur de reconnaître son droit et, par conséquent, de renoncer au bénéfice de la prescription ou du temps écoulé. Il rappelle que même la formulation d’une offre de règlement, à elle seule, ne peut constituer une telle reconnaissance susceptible d’interrompre la prescription. Au surplus, la personne dont on allègue qu’elle reconnaît le droit du créancier doit avoir le pouvoir de lier la partie pour laquelle elle formule la reconnaissance.

En l’espèce, quoique la Ville ait explicitement renoncé à poursuivre les demandeurs au pénal et les ait informés de la marche à suivre aux fins de présenter une réclamation en dommages contre elle, le Tribunal conclut que ces déclarations ne sont pas de nature à reconnaître la commission d’une faute par la Ville et encore moins de reconnaître le droit à l’indemnisation revendiquée par les demandeurs.

Enfin, même s’il avait conclu que les déclarations de la représentante de la Ville traduisaient une intention claire de reconnaître les droits des demandeurs, elle n’avait pas l’autorité pour lier la municipalité.

Au vu de l’absence d’interruption de la prescription, la Cour conclut à la prescription du recours et rejette la demande sans avoir à se prononcer sur la faute civile ou les dommages allégués par les demandeurs.

Dans cette affaire, la Ville de Gatineau était représentée par Justin Beeby, associé du groupe de Droit des assurances de RSS. La pratique de Justin comprend la défense de bon nombre de municipalités.

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