Droit des assurances

661

Des vices cachés, des inspections préachat et la bonne foi

Les faits

En 2009, Louise Champagne (« Champagne ») et son conjoint achètent une maison à Morin-Heights. Ils obtiennent un rapport d’inspection préachat, lequel fait état de quelques problèmes, entre autres :

  • Des fissures à la fondation, dont une présentant un risque d’infiltration d’eau;
  • L’absence de solin adéquat entre la structure des balcons et les murs extérieurs, causant un risque d’infiltration d’eau dans l’immeuble;
  • Des indices évidents d’infiltration d’eau par le comble et de moisissures dans la cheminée;

Alertée par ce rapport, Champagne obtient du vendeur une facture de Qualinet confirmant que la cheminée a été désinfectée et elle considère ce problème réglé.

Plusieurs autres problèmes affectant l’immeuble, incluant ceux mentionnés ci-haut, ne seront pas réglés que ce soit avant ou après la vente à Champagne et, lors de l’hiver 2011, l’immeuble subit plusieurs épisodes de gel et dégel et des pluies abondantes. Un barrage de glace se forme au bas du toit et de l’eau s’infiltre dans l’immeuble et par deux fenêtres au sous-sol.

En 2015, le conjoint de Champagne décède et elle décide de vendre l’immeuble.

Le 15 juin 2016, elle remplit une déclaration du vendeur qui fait état de certains problèmes. Cette déclaration mentionne que des rapports d’inspection passés sont disponibles.

En 2017, la toiture est remplacée et Champagne remplit une seconde déclaration du vendeur le 3 août 2017. Or, contrairement à la première déclaration, celle-ci indique que les rapports d’inspection passés ne sont pas disponibles. Seule cette déclaration est remise aux demandeurs, Éric Louis-Seize (« Louis-Seize ») et Émilie Contant (« Contant ») avant la vente.

Le 15 avril 2018, Champagne décide de faire exécuter une inspection prévente de l’immeuble. Un rapport lui est remis début juin 2018 avant la visite de l’immeuble par Louis-Seize et Contant. Ce rapport identifie plusieurs risques d’infiltration d’eau et de la pourriture à la structure du bâtiment.

Après l’avoir lu, Champagne n’apporte aucune modification à la déclaration du vendeur, ne partage aucune information le concernant et n’en remet pas copie aux demandeurs.

En juin 2018, Louis-Seize et Contant visitent la propriété et font faire leur propre inspection préachat. Après avoir pris connaissance de la déclaration du vendeur datée du 3 août 2017, ils demandent copie du rapport d’inspection préachat qui y est mentionné, mais Champagne leur dit qu’il n’est pas disponible.

Le rapport commandé par les acheteurs fait état de certains constats et émet des recommandations, mais le toit et la cheminée n’ont pu être observés qu’avec des jumelles. Champagne rassure  les acheteurs en les informant qu’elle avait fait réparer le foyer de la cheminée par une entreprise spécialisée, mais ne leur remet pas la facture de Qualinet reçue en 2009.

La vente a finalement lieu le 8 août 2018 au prix de 310 000$. Dès le mois de février 2019, les demandeurs découvrent une infiltration d’eau importante au sous-sol. Ils dénoncent la situation à Champagne et celle-ci se rend sur les lieux, mais ne propose aucune solution et ne fait rien.

Louis-Seize et Contant procèdent alors au dégarnissage complet des murs du sous-sol et découvrent de la pourriture et des moisissures à plusieurs endroits. Ils dénoncent à nouveau ces vices à Champagne qui leur avoue pour la première fois qu’elle était au courant que de la glace s’accumulait sur le toit l’hiver et des problèmes récurrents d’humidité au sous-sol. À la suite de cette rencontre, Champagne ne propose aucune solution et demeure passive. Louis-Seize et Contant commandent plusieurs expertises, mais ne débutent pas les travaux correctifs, faute de moyens.

Les prétentions des parties 

Les acheteurs réclament donc de Champagne la somme de 212 864,59$ à titre de réduction du prix de vente et 50 000$ à titre de dommages moraux à la suite de la découverte des vices cachés  alléguant que Champagne avait agi de mauvaise foi. Champagne répond que les vices n’étaient  pas cachés et qu’elle a agi en toute bonne foi.

Pour les motifs détaillés ci-dessous, la Cour donne raison aux demandeurs.

La décision

La Cour rappelle les critères essentiels à la qualification d’un vice caché soit :

  1. L’existence du vice;
  2. L’antériorité du vice au moment de la vente;
  3. Un vice grave, soit qu’il rend le bien impropre à l’usage auquel on le destine ou en diminue l’usage auquel un acheteur peut raisonnablement s’attendre;
  4. Un vice inconnu par l’acheteur au moment de la vente;
  5. Un vice non apparent, soit un vice qui ne peut être constaté par un acheteur prudent et diligent sans avoir besoin de recourir à un expert;

Il est  d’abord déterminé que les vices allégués par les demandeurs satisfont tous les critères susmentionnés et se qualifient comme des vices cachés Champagne étant donc condamnée à payer 162 864,59$ à titre de réduction du prix de vente, cette somme étant jugée raisonnable puisqu’elle représente 52% du prix de vente.

La Cour se penche ensuite sur la conduite de Champagne afin de déterminer si celle-ci a agi de mauvaise foi, permettant ainsi l’octroi de dommages et intérêts au sens de l’article 1728 C.c.Q.

L’application de l’obligation de bonne foi est tributaire des faits particuliers de chaque affaire. Toutefois, un consensus s’est dégagé de la jurisprudence et la doctrine à l’effet que cette obligation emporte un devoir d’agir avec loyauté, transparence et honnêteté et de collaborer avec son cocontractant, ce qui inclut une considération de ses intérêts pendant la négociation d’un contrat, durant son application et lorsqu’il se termine. Cette obligation emporte aussi un devoir d’information et de renseignement dans certaines situations, comme en l’espèce.

Ainsi, un vendeur a l’obligation de divulguer à un acheteur potentiel tout ce qui pourrait constituer un indice ou preuve d’un vice qui pourrait influencer l’acheteur dans sa décision d’acquérir le bien ou d’offrir un certain prix pour l’acquérir. S’il omet de le faire, le vendeur contrevient à son obligation de bonne foi et l’acheteur lésé a droit en sus à des dommages et intérêts.

De plus, les représentations spécifiques du vendeur à l’égard de la condition du bien vendu dispensent l’acheteur de faire des vérifications et examens approfondis à leur égard.

La Cour conclut ainsi que Champagne a manqué à son obligation de bonne foi. En effet, celle-ci avait le devoir de communiquer le rapport d’inspection préachat réalisé en 2009 et le rapport prévente réalisé au printemps 2018. En sus, Champagne aurait dû divulguer aux demandeurs les problèmes d’infiltrations d’eau affectant l’immeuble et leur remettre la facture de Qualinet. La Cour ajoute qu’il est impensable qu’un vendeur ait en main des rapports d’inspection et les dissimulent à des acheteurs potentiels : agir de la sorte contrevient directement au devoir d’agir avec transparence et honnêteté ce qui entraine en l’espèce une condamnation additionnelle de 25 000$ à titre de dommages et intérêts pour la perte de jouissance de l’immeuble, le stress et les inconvénients subis.

À retenir

En somme, bien qu’un acheteur a un devoir d’effectuer un examen attentif et sérieux de l’immeuble qu’il souhaite acquérir, le vendeur a l’obligation corollaire d’informer l’acheteur d’un vice ou d’indices d’un vice pouvant influencer ce dernier dans sa décision de l’acquérir ou d’offrir un certain prix, même lorsque l’acheteur fait affaire avec un inspecteur préachat. À défaut, l’acheteur pourra obtenir des dommages et intérêts du vendeur qui a manqué à son obligation d’information et de bonne foi, en sus de la réduction du prix de vente ou de la résolution de la vente.

 

661

Auteurs

Articles dans la même catégorie

Un accident d’automobile n’est pas nécessairement un accident d’automobile

Nos lecteurs se rappelleront que plusieurs décisions ont été rendues au cours des dernières années analysant, dans des cas très précis, ce qui pouvait constituer un accident d’automobile en vertu de la Loi sur l’assurance automobile (LAA). Plusieurs décisions ont ainsi été rendues tant par la Cour suprême du Canada[1], que par la Cour d’appel[2]. […]

Même la garantie à vie n’est pas éternelle!

Un arrêt récent de la Cour d’appel du Québec (« CA »), Hamann c. Matériaux de construction Oldcastle Canada inc., 2024 QCCA 1705, confirme une décision de la Cour supérieure du Québec (« CS ») ayant rejeté une demande introductive d’instance en raison du défaut du demandeur d’intenter son recours dans les trois ans de la découverte de dommages […]

1, 2, 3 et le lave-vaisselle s’en va…

Non, ce n’est pas un ancien ministre de l’Énergie qui l’a fait disparaître, mais l’obsolescence programmée, soigneusement camouflée dans les méandres d’éléments de fabrication afin que le bien acheté devienne défectueux et qu’on doive le remplacer plus rapidement. Fort heureusement, le gouvernement a réagi et nous vous expliquons comment. Introduction En juin 2023, le ministre […]

L’excavatrice avait perdu la tête, mais pas la Cour d’appel…

Vous vous souviendrez peut-être d’une infolettre que nous avions publiée le 17 juillet 2023 et qui décrivait un jugement relatif au fardeau important qui incombait à un fabricant dans le Code civil du Québec. Dans l’affaire AIG Insurance Company of Canada et al. c. Mécano Mobile R.L. Inc. et al., 2023 QCCS 1935, la Cour supérieure avait […]

Déclarations frauduleuses : toujours une question de crédibilité… et d’intérêt !

Dans un jugement récent, la Cour d’appel revisite et confirme le jugement rendu par la Cour supérieure dans l’affaire Paul-Hus c. Sun Life, Compagnie d’assurance-vie, lequel avait été commenté dans notre infolettre du 31 octobre 2023. Retour sur les faits Le 13 mars 2015, Automobiles Illimitées, dont le demandeur Paul-Hus est l’unique actionnaire, formule une proposition […]

Construction et perte de l’ouvrage : à quand débute le compte à rebours ?

En matière de prescription, il est souvent difficile de déterminer un point de départ et un calcul précis, surtout lorsque le dommage ou la perte se manifeste de façon graduelle. Pour remettre les pendules à l’heure, analysons un jugement très récent rendu par l’Honorable Marie‑Ève Bélanger dans l’affaire du Syndicat des Copropriétaires du 600, de […]

Soyez les premiers informés

Abonnez-vous à nos communications