Bulletins

133

Assurance dommages aux biens « Éléments composant un tout » : Quand l’assuré peut-il obtenir le remplacement d’un bien composé de plusieurs éléments?

Le 17 décembre 2021, la Cour d’appel du Québec a rendu une décision concernant l’application d’une police d’assurance de biens commerciaux à une perte d’équipement composé de divers éléments dans l’affaire Intact compagnie d’assurance c. 9004-9693 Québec inc., 2021 QCCA 1901.

Dans cette affaire, la Cour a pu se prononcer à nouveau sur la norme d’intervention s’appliquant à l’interprétation contractuelle d’une police d’assurance par le juge de première instance.  Par ailleurs, la Cour a pu se prononcer sur la question de savoir si un système prétendument composé de plusieurs parties était entièrement couvert sous une police d’assurance biens ou si l’assureur avait raison qu’il n’y avait qu’une partie de ce système qui a été endommagée et que la couverture ne visait que cette partie.

Les faits

L’assurée est propriétaire d’un salon de quilles muni d’un système de gestion composé d’un serveur, d’un ordinateur client, de 14 consoles et 14 écrans installés dans chacune des allées de quilles [le Système]. Un bris est survenu, rendant le Système inutilisable. La police d’assurance souscrite auprès d’Intact prévoyait qu’« en cas de sinistre atteignant des éléments composant un tout une fois qu’ils sont assemblés à des fins d’utilisation, et qu’il s’agisse ou non d’une assurance expressément consentie, l’indemnité se limite à la valeur assurée des éléments endommagés, y compris le coût d’installation » [clause « Éléments composant un tout »].

L’assureur a admis que la police couvrait le sinistre et qu’aucune clause d’exclusion ne s’appliquait, mais n’a accepté de verser à l’assurée qu’une indemnité de 36 000 $ représentant le coût de remplacement du serveur du Système moins la franchise de 1 000 $. L’assurée a poursuivi l’assureur devant la Cour supérieure du Québec en lui réclamant 126 256 $ représentant le coût du remplacement complet du Système.

Le juge de première instance a accueilli la demande de l’assurée en déterminant que chaque élément composant le Système a été endommagé. L’assureur a porté cette décision en appel en prétendant que le juge de première instance a erré en concluant que le Système constitue un seul équipement au sens de la police et en refusant d’appliquer la clause « Éléments composant un tout » contenue dans les Dispositions générales de la police. La Cour d’appel a rejeté l’appel pour trois raisons principales.

La décision de la Cour d’appel

La norme d’intervention

En premier lieu, la Cour d’appel a rejeté l’argument de l’assureur que le juge de première instance a erré sur une question de droit dans son interprétation et application de la police. La Cour a distingué la cause devant elle de la cause dans l’affaire Ledcor Construction Ltd. c. Société d’assurance d’indemnisation Northbridge2016 CSC 37, dans laquelle la Cour suprême du Canada a déterminé que l’interprétation d’une clause dans un contrat type constituait une question de droit. La Cour d’appel a précisé que « l’interprétation du contrat en l’espèce soulève essentiellement une question mixte de fait et de droit », et souligné qu’il ne s’agissait pas d’un cas « rare » ou « d’exception » dans lequel la norme de la décision correcte s’appliquait à une décision du juge de première instance en matière de couverture d’assurance.

Preuve de dommage à chaque élément du Système et l’exercice de retenue envers la décision en première instance

En deuxième lieu, la Cour d’appel a déterminé que l’assureur n’a pas établi d’erreur manifeste et déterminante quant à la conclusion du juge de première instance que le coût du remplacement complet du Système était couvert. La Cour d’appel a souligné que la police était claire à l’effet que seuls les équipements endommagés par un bris sont couverts et qu’un « équipement » ne peut être un ensemble de composantes constitué en un système si la preuve démontre que chacune de ces composantes peut être qualifiée d’une pièce distincte. La Cour d’appel a déterminé que le juge de première instance n’avait pas ignoré les dispositions de la police, mais avait plutôt déterminé que toutes les composantes du Système étaient effectivement endommagées.

La Cour d’appel a examiné la preuve testimoniale introduite lors du procès et a confirmé que cette preuve démontrait que le serveur a été endommagé, que les diverses consoles n’étaient plus fonctionnelles depuis le sinistre et que des erreurs de pointage nécessitaient des corrections manuelles beaucoup plus fréquemment qu’avant le sinistre (La cause exacte du bris n’est pas décrite par la Cour. Le jugement de première instance ne semble pas publié). Le rapport de l’expert de l’assurée avait conclu que les problèmes majeurs provenaient principalement du serveur principal, mais que l’équipement n’était plus fonctionnel ou réparable et que la défaillance interne s’est répandue dans l’ensemble du Système. Il a donc émis une recommandation de remplacer le Système pour s’assurer que l’assurée puisse revenir à un système fiable et fonctionnel qui lui permettra la continuité des affaires. La Cour a rappelé que la preuve du dommage de chacune des composantes du Système devait répondre au standard de la balance des probabilités et que la certitude scientifique n’est pas nécessaire.

L’application de la clause « Éléments composant un tout »

Selon l’assureur, le juge de première instance aurait erré en omettant d’appliquer la clause « Éléments composant un tout » puisque le formulaire relatif à l’ « Assurance bris des équipements » ne contenait pas de clause empêchant son application. La Cour d’appel a statué que s’il y avait une erreur sur ce point, elle n’était pas déterminante puisque l’application de la clause aurait mené au même résultat, soit que les divers éléments du Système ont tous été endommagés au sens de cette clause et non pas seulement le serveur.

Conclusion

Cette décision sert à rappeler aux parties et à leurs avocats l’importance du rôle que la preuve pourrait jouer lorsqu’il faut déterminer si une indemnité doit être payée en vertu d’une police d’assurance. Les déterminations du juge de première instance, particulièrement en évaluant la crédibilité des témoins ordinaires et experts, seront difficiles à mettre de côté dans le cadre d’un appel. Lorsqu’il y a eu dommage à un équipement ou un bien composé de diverses composantes, l’assureur pourrait être appelé à payer les frais de remplacement de l’équipement ou du bien en entier lorsque l’assuré est capable de démontrer que chaque composante a été endommagée suite à un sinistre. En revanche, on pourrait s’attendre à ce qu’un assureur qui réussit à démontrer qu’un bien est composé de plusieurs éléments distincts puisse avoir raison de nier la couverture pour la réparation ou le remplacement des composantes qui ne sont pas endommagées.

133

Auteurs

Vikki Andrighetti

Avocate, associée, médiatrice accréditée

Articles dans la même catégorie

Projet de loi 56 — Réforme du droit de la famille et régime d’union parentale

L’Assemblée nationale du Québec a adopté le projet de loi n°56 intitulée Loi portant sur la réforme du droit de la famille et instituant le régime d’union parentale, lequel entrera en vigueur le 30 juin 2025. Cette initiative introduira le nouveau régime de l’union parentale visant les conjoints de fait étant parents d’un même enfant […]

Quand l’eau exclut toute possibilité d’indemnisation

La Cour supérieure se prononçait récemment sur l’interprétation d’une clause d’exclusion pour les dommages résultant d’un sinistre provenant d’une inondation, dans l’affaire Gestion Michel Bernard inc. c. Promutuel Chaudière-Appalaches, Société mutuelle d’assurance générale[1]. Résumé des faits Les Demanderesses sont respectivement propriétaires d’un immeuble situé à Beauceville, et opératrices d’un restaurant qui se trouve dans cet […]

Planification successorale : ne négligez pas votre coffret de sûreté

Que vous ayez déjà une planification successorale, que vous soyez en processus de planification successorale ou que vous procrastiniez à ce sujet, vous pourriez vouloir tenir compte des avantages et des inconvénients d’un coffret de sûreté (parfois appelé coffre-fort ou compartiment de coffre-fort) dans vos projets. À une certaine époque, les coffrets de sûreté étaient […]

L’obligation de renseignement dans une transaction commerciale

« Le rédacteur des documents instrumentant une transaction a l’obligation d’informer les cocontractants de tout changement qu’il y apporte. » [1] – c’est ainsi que l’Honorable Ian Demers, J.C.S., débute son jugement daté du 23 avril 2024 dans l’affaire Maçons Patrimoniaux Inc. c. Aliston Investissement Inc., 2024 QCCS 1447. Dans cette histoire, la demanderesse Maçons […]

Certificats médicaux et projet de loi C-68 : Quelles conséquences pour les employeurs?

Champ d’application et entrée en vigueur La Loi visant principalement à réduire la charge administrative des médecins (la « Loi 29 ») a été adoptée le 8 octobre 2024. Ces dispositions modifient la Loi sur les normes du travail (la « LNT »), et seront en vigueur à partir du 1er janvier 2025. Ces nouvelles interdictions s’appliquent également aux […]

Un immeuble patrimonial, un incendie criminel mortel : l’avis de 15 jours à la Ville était-il requis?

Faits en litige Le 16 mars 2023, un incendie mortel a ravagé un immeuble patrimonial du Vieux-Montréal, propriété de Me Émile Benamor. Il est allégué que l’incendie est de nature criminelle, allumé par un tiers. Le demandeur, propriétaire des lieux, intente un recours de 7 575 000 $ contre la Ville de Montréal afin d’être […]

Soyez les premiers informés

Abonnez-vous à nos communications