Un employeur, prestataire de services, peut-il requérir une preuve de vaccination de ses employés lorsque son client exige que l’ensemble des personnes qui accèdent à son établissement soient adéquatement vaccinées contre la COVID-19? Qu’arrive-t-il alors aux employés qui ne sont pas vaccinés et qui se voient refuser l’accès à leur lieu de travail par ce client ? L’arbitre Denis Nadeau semble être le premier à avoir dû se pencher sur ces questions d’actualité dans une sentence arbitrale rendue le 15 novembre dernier: Union des employés et employées de service, section locale 800, et Services ménagers Roy ltée (grief syndical), 2021 QCTA 570.
Cette décision s’inscrit dans un contexte où des clients de différentes entreprises d’entretien ménager ont adopté des politiques exigeant que les personnes affectées à leurs édifices soient adéquatement vaccinées. Conséquemment, ces entreprises, étant liées par des contrats avec ces clients et assujetties à leurs exigences, doivent pouvoir confirmer le statut vaccinal des employés, faute de quoi ils s’exposent à la résiliation du contrat. L’employeur devrait muter les employés non vaccinés auprès de clients ne formulant pas une exigence de vaccination ou, à défaut de tels clients, procéder à des mises à pied.
Naturellement, le syndicat contestait le droit des employeurs de recueillir le statut vaccinal des employés puisqu’il allègue qu’une telle cueillette n’est pas nécessaire et brime les droits à la vie privée et à l’intégrité physique garantis par la Charte des droits et libertés de la personne [Charte]. Selon le syndicat, cette atteinte n’est pas justifiée par un objectif légitime de protection de la santé et de la sécurité.
Décision de l’arbitre
Dans sa décision, l’arbitre reconnaît que l’exigence de fournir une attestation vaccinale porte atteinte au droit au respect de la vie privée, mais conclut, à la lumière du principe selon lequel « aucun droit n’est absolu », que cette condition est justifiée au regard de « l’ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec ». Le préambule de la Charte prévoit d’ailleurs que « les droits et libertés de la personne humaine sont inséparables des droits et libertés d’autrui et du bien-être général ». C’est pourquoi toute revendication d’un droit doit être « conciliée avec les droits, les valeurs et le préjudice opposés ».
Les parties s’entendent d’ailleurs sur le fait que l’exigence vaccinale des clients repose essentiellement sur deux constats scientifiques:
- S’il contracte la COVID-19, le salarié non vacciné est susceptible de subir les conséquences les plus graves de la COVID-19, et ce, contrairement à un salarié vacciné ;
- S’il contracte la COVID-19, le salarié non vacciné a une charge virale plus élevée qu’un salarié vacciné, et, conséquemment, il est plus susceptible de transmettre ce virus. [par 43]
En considérant ces constats scientifiques à la lumière des obligations des employeurs en matière de santé et de sécurité du travail, l’arbitre conclut que les clients d’un employeur sont en droit d’imposer une exigence vaccinale à leurs employés ainsi qu’à leurs sous-traitants.
Incidence de la Loi sur la santé et la sécurité du travail
Rappelons-nous que l’employeur doit, en vertu de l’article 51 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (« LSST »), prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité et l’intégrité physique des employés. Dans le contexte particulier entourant la pandémie, l’employeur doit notamment utiliser les méthodes et techniques visant à identifier, contrôler et éliminer les risques associés au virus du SRAS-CoV-2 pouvant affecter la santé et la sécurité des travailleurs. Cette obligation implique de prendre tous les moyens nécessaires, humainement logiques et raisonnables pour protéger la santé et la sécurité des travailleurs dans leur établissement. Or, ces responsabilités sont tout autant d’actualité et d’application dans un contexte de relation tripartite. Les clients de l’employeur ont non seulement cette obligation envers leurs propres employés, mais également à l’égard de leurs fournisseurs et sous-traitants en vertu de l’article 51.1 de la LSST.
Il ne faut pas oublier que les employés ont également des obligations corrélatives en vertu de l’article 49 de la LSST selon lesquelles ils doivent protéger leur santé ainsi que celle des autres. Par conséquent, un employé non vacciné représente non seulement un risque pour lui-même (en raison des conséquences les plus graves auxquelles il s’expose s’il est infecté par le virus de la COVID-19), mais également pour les autres employés à qui il peut transmettre le virus lorsqu’il se trouve sur les lieux de travail.
Procédure de collecte et de communication
Quant aux modalités de collecte de renseignements, l’arbitre suggère qu’elle soit effectuée par un représentant des ressources humaines plutôt que par des supérieurs immédiats ou hiérarchiques. Une simple constatation sur l’application Vaxicode du statut « Adéquatement protégé » ou une version papier de ce document est amplement suffisante pour permettre aux employeurs de répondre aux demandes de leurs clients. D’ailleurs, seule une confirmation de l’employeur à l’effet que les employés affectés sont adéquatement vaccinés devrait être communiquée au client.
Quelques réserves
En concluant, il convient de noter que :
- La sentence répond à un grief déclaratoire d’ordre général : elle laisse la porte ouverte à des contestations plus spécifiques découlant de facteurs tels que les horaires de travail dans les édifices spécifiques, le fait que les personnes travaillent en solo ou en équipe, dans des locaux grands ou exigus, etc.;
- La sentence ne porte pas directement sur le droit de l’employeur d’exiger de son propre chef une attestation vaccinale de ses salariés, mais plutôt sur la façon dont un employeur doit agir lorsqu’une telle politique est adoptée par ses clients. Or, puisque l’arbitre indique que l’exigence vaccinale des clients devient nécessairement celle des employeurs, ses conclusions quant à la légitimité de cette exigence devraient pouvoir être transposées aux employeurs souhaitant mettre en place une telle politique visant leurs propres établissements;
- L’arbitre a indiqué qu’il n’entendait pas se prononcer sur le cas particulier des employés qui refuseraient la vaccination pour des raisons religieuses ou médicales;
- La décision tient compte de la convention collective liant les parties, mais uniquement quant au transfert des employés non vaccinés.