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SNC-Lavalin inc. c. Deguise : L’arrêt sur la décision phare : les faits, les parties et les questions en litige

Le 6 avril, la Cour d’appel du Québec rendait sa décision dans SNC-Lavalin inc. (Terratech inc. et SNC-Lavalin Environnement inc.) c. Deguise, 2020 QCCA 495.

Compte tenu de l’importance de cette décision tant pour l’industrie de la construction que pour celle de l’assurance, RSS a entrepris de brosser un portrait des règles qui y sont illustrées. Le présent texte constitue un des volets du tableau complet que l’on trouvera ici.

Le 6 avril dernier, la Cour d’appel a rendu jugement à la suite de l’appel de la décision phare de la Cour supérieure dans l’« affaire de la pyrrhotite ». Plusieurs questions en litige ont été abordées dans une décision comportant 371 pages.

La présente infolettre a pour but de vous informer brièvement des faits importants, des parties impliquées et des questions en litige. Dans les infolettres qui suivront, nous traiterons de questions particulières que nous estimons importantes de souligner.

Les faits, les parties et les procédures

L’« affaire de la pyrrhotite » est l’histoire de nombreux propriétaires d’immeubles [« les demandeurs »] de la région de Trois-Rivières qui prétendaient que la présence de pyrrhotite dans les granulats incorporés au béton de leurs fondations causait leur dégradation graduelle.

Lesdites fondations avaient été coulées entre 2003 et 2008. Ces recours (880 actions en justice) font donc partie de la première « vague » de recours qui furent regroupés dans 69 dossiers de la Cour. Notons qu’une seconde et une troisième vague de recours sont actuellement pendantes devant les tribunaux.

Des 69 jugements qui furent rendus par la Cour supérieure, 68 furent portés en appel. Les 769 pourvois ont été regroupés et sont visés par l’arrêt de la Cour d’appel. Plusieurs autres arrêts ont été rendus dans différents dossiers pour régler des questions particulières. Ces arrêts ne seront pas traités ici.

Les demandeurs ont donc poursuivi pour certains, les particuliers qui leur ont vendu leur immeuble [« les vendeurs »]. D’autres, incluant les autoconstructeurs, ont poursuivi leur entrepreneur général et/ou les coffreurs qui ont construit les fondations [« les entrepreneurs »]. Dans tous les cas, le fournisseur des granulats, soit Carrière B & B [« B&B »], les bétonnières, soit Construction Yvan Boisvert inc. [« CYB »] ou Béton Laurentide inc. [« BL »] [« les bétonnières »] qui ont livré le béton, ont également été poursuivies.

De plus, le géologue et son employeur SNC-Lavalin [« SNC »] ont été poursuivis quant à la responsabilité professionnelle du géologue qui avait cautionné l’usage des granulats.

Enfin, les assureurs responsabilité des défendeurs furent impliqués dans ces litiges.

Le problème de la présence de pyrrhotite dans le béton a débuté avec l’exploitation d’une carrière exploitée alors par l’entreprise Maskimo dans les années 1990. Des granulats provenant de cette carrière furent utilisés pour la coulée de fondations de 1996 à 1998. Une trentaine de litiges furent intentés contre Maskimo suivant l’apparition de dégradation du béton. Ainsi, dès 2001, les bétonnières savaient que l’on soulevait un problème avec l’usage des granulats.

C’est en 2003 que les bétonnières utilisèrent les granulats provenant de la carrière voisine appartenant à B&B.

Par la suite, le géologue procéda à une analyse du granulat de B&B qui conclut que la pierre n’était pas réactive, que son pourcentage de pyrite apparaissait normal et qu’il n’existait aucune contre-indication à l’utiliser.

Le géologue fut ensuite engagé comme expert dans les litiges impliquant Maskimo. Il est intéressant de noter que le juge dans ces litiges avait conclu que les problèmes vécus par Maskimo avaient une « notoriété certaine » dans la région de Trois‑Rivières à compter de l’automne 2003.

Ainsi, B&B demanda au géologue d’analyser d’autres échantillons. Ce dernier conclut que les granulats comportaient du sulfure de fer mais qu’ils pouvaient être utilisés sans risque de réaction. En conséquence, B&B continua d’exploiter sa carrière en 2004.

En septembre 2005, le géologue pratiqua une troisième analyse des granulats et conclu que le faible pourcentage de sulfate n’empêchait pas son utilisation. Par la suite, d’autres experts ont analysé les granulats durant la même année et leurs conclusions différaient de celle du géologue. Ce dernier a finalement admis en novembre 2007 que le granulat ne devait pas être utilisé.

BL a donc cessé l’utilisation du granulat de B&B. Ce dernier avait arrêté produire du granulat en novembre 2006 de façon temporaire et ce pour écouler ses réserves. B&B n’a pas repris la production par la suite. Cependant, CYB continua à vendre son béton comportant des granulats de B&B jusqu’en 2008, la dernière coulée de béton étant survenue le 5 mai 2008.

Les questions en litige

En appel, les questions des différents pourvois furent regroupées. La Cour devait donc statuer sur les questions suivantes :

  • La responsabilité de B&B, des bétonnières, des entrepreneurs, du géologue et de son employeur SNC ; et plus particulièrement :
    • L’application de l’article 2118 C.c.Q. ;
    • Les moyens d’exonération de 2119 C.c.Q. ;
    • La garantie de qualité des entrepreneurs-coffreurs sous 1728 C.c.Q. ;
    • La responsabilité du vendeur pour le béton vicié ;
    • La responsabilité professionnelle et extracontractuelle du géologue ;
  • Le partage de la responsabilité entre les parties trouvées responsables ;
  • La détermination des dommages ;
  • Les arguments des assureurs quant aux polices d’assurance, dont :
    • La nullité ab initio des polices d’assurance ;
    • Les dommages réclamés ne constituaient pas un « événement » au sens des polices ;
    • La clause de non-cumul de responsabilité de leur police limitait les montants d’indemnité payables ;
    • L’application des clauses d’exclusion « produits de l’assuré » et « pyrite » ;
    • Les dommages causés par l’oxydation de la pyrrhotite dans le granulat de béton ne commençaient pas dès que le béton a été coulé ;
    • D’autres questions spécifiques à l’assurance responsabilité du géologue.

Notons enfin que les audiences devant la Cour d’appel se sont déroulées sur huit semaines durant l’année judiciaire 2017–2018 et qu’en Cour supérieure, les auditions ont duré 68 jours, au cours desquels 168 témoins furent entendus.

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