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Déclarations frauduleuses : toujours une question de crédibilité… et d’intérêt !

Dans un jugement récent, la Cour d’appel revisite et confirme le jugement rendu par la Cour supérieure dans l’affaire Paul-Hus c. Sun Life, Compagnie d’assurance-vie, lequel avait été commenté dans notre infolettre du 31 octobre 2023.

Retour sur les faits

Le 13 mars 2015, Automobiles Illimitées, dont le demandeur Paul-Hus est l’unique actionnaire, formule une proposition d’assurance pour une police maladie grave auprès de la Sun Life. La personne assurée est le demandeur, et la bénéficiaire est Automobiles Illimitées.

Le 17 mars 2015, Paul-Hus se soumet à l’entrevue téléphonique lors de laquelle des questions lui sont posées notamment sur ses habitudes de vie, son état de santé et ses antécédents médicaux. Rien d’important n’ayant été déclaré, la Sun Life approuve la proposition et émet la police.

Le 16 août 2018, Paul-Hus soumet une réclamation à la Sun Life. Le Dr Brunet, neurologue traitant Paul-Hus depuis quelques années, y indique que le diagnostic est une atrophie musculaire progressive dont les premiers symptômes se seraient manifestés en 2013. Après enquête, la Sun Life avise Paul-Hus qu’elle refuse de l’indemniser, car il n’a pas répondu correctement à trois questions du questionnaire et que, s’il l’avait fait, elle n’aurait pas émis la police d’assurance pour maladies graves.

Dix jours plus tôt, Automobiles Illimitées faisait faillite, soit le 12 décembre 2018.

Le 31 mai 2021, enfin, Paul-Hus signifie à la Sun Life une demande introductive d’instance (la « Demande »). Il y allègue un diagnostic de sclérose latérale amyotrophique (SLA).

Jugement de première instance

En première instance, le Tribunal conclut que les déclarations de Paul-Hus au moment de la souscription de la police sont inexactes et susceptibles de mener à la nullité de la police. Quant au caractère frauduleux, dont le fardeau de preuve incombe à l’assureur qui cherche à annuler une police en vigueur depuis plus de deux ans en raison de fausses déclarations (article 2424 C.c.Q.), le Tribunal précise qu’il ne suffit pas de répéter que l’on a été de bonne foi pour justifier de pareilles omissions. De l’avis du Tribunal, ces éléments démontrent clairement l’intention de Paul-Hus de cacher son véritable état de santé dans le but de tromper la Sun Life et d’ainsi obtenir la couverture d’assurance souhaitée. Il ne pouvait ignorer que ses symptômes et l’investigation en cours étaient de nature à influencer de façon importante la décision de l’assureur d’accepter le risque, et ses réponses évasives à l’égard des réponses fournies au questionnaire laissent perplexe.

Ainsi, le Tribunal déclare la nullité ab initio de la police d’assurance.

Mais ce n’est pas tout ! Nonobstant ce qui précède, le Tribunal conclut que le recours aurait également pu être rejeté en raison de l’absence d’intérêt de Paul-Hus. Effectivement, il importe de rappeler que, si Paul-Hus est la personne à assurer, la bénéficiaire de la police est Automobiles Illimitées. Or, en 2018, la compagnie fait faillite. Ainsi, comme l’a soulevé la Sun Life en première instance, argument retenu à bon droit par le Tribunal, seule Automobiles Illimitées avait l’intérêt requis pour réclamer le paiement de la prestation d’assurance maladie grave.

Appel rejeté

D’emblée, la Cour d’appel se penche sur l’intérêt d’agir et confirme la conclusion de première instance selon laquelle l’appelant n’a pas d’intérêt pour réclamer la prestation d’assurance-maladie grave. Effectivement, l’assurance a été souscrite par Automobiles Illimitées, compagnie dont l’appelant était le seul actionnaire et administrateur, et aucun changement de bénéficiaire n’a été effectué suivant la faillite de la compagnie. Ainsi, la Cour conclut que « [si] l’indemnité avait été payée, le bénéficiaire aurait été la masse des créanciers dans la faillite d’Automobiles Illimitées. Ceci suffit pour justifier le rejet de l’appel. »

Cependant, la Cour va plus loin et se penche sur le caractère frauduleux des fausses déclarations de Paul-Hus, déterminant que la conclusion de la Cour de première instance selon laquelle l’appelant a commis une fraude au sens de l’article 2424 C.c.Q. en omettant sciemment de communiquer à Sun Life Canada des informations médicales essentielles dans le but d’obtenir, par l’intermédiaire de sa compagnie, une prestation d’assurance, est inattaquable.

Plus précisément, la Cour confirme que Sun Life Canada devait prouver la fraude, et qu’elle a satisfait à ce fardeau, notamment en considération des éléments suivants, tous considérés en première instance :

  • Omission flagrante de divulguer des informations qui avaient clairement une incidence sur l’assurabilité;
  • Connaissance de plusieurs informations et investigations médicales qui étaient concomitantes avec l’entrevue avec le représentant de Sun Life Canada;
  • Réponses évasives en contre-interrogatoire en lien avec les réponses fournies au questionnaire et;
  • Manière de témoigner au procès.

À cette énumération, la Cour d’appel ajoute le caractère important du problème de santé et des investigations médicales extensives en cours, que Paul-Hus connaissait manifestement et qu’il avait clairement l’obligation de divulguer à l’assureur, même en l’absence de toute question précise.

En terminant, la Cour confirme que la conclusion de fraude faite par la Cour de première instance est mixte. Considérant que sa conclusion est fermement ancrée dans la preuve et que l’appelant ne soulève aucune erreur manifeste et déterminante, la Cour d’appel conclut que Sun Life Canada était justifiée de demander la nullité ab initio de la police d’assurance et l’appel doit être rejeté.

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