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L’hypothèque légale du constructeur : il faut avoir « participé » à la construction

Le Code civil du Québec [Code] accorde une protection spéciale aux entreprises et travailleurs du milieu de la construction :

2726. L’hypothèque légale en faveur des personnes qui ont participé à la construction ou à la rénovation d’un immeuble ne peut grever que cet immeuble. Elle n’est acquise qu’en faveur des architecte, ingénieur, fournisseur de matériaux, ouvrier, entrepreneur ou sous-entrepreneur, à raison des travaux demandés par le propriétaire de l’immeuble, ou à raison des matériaux ou services qu’ils ont fournis ou préparés pour ces travaux. Elle existe sans qu’il soit nécessaire de la publier.

L’hypothèque naît donc sans qu’une démarche soit requise, encore qu’elle doive être publiée pour être préservée au-delà des 30 jours suivant la fin des travaux, aux termes de l’article 2727 du Code. Cela dit, cette absence de formalisme ne signifie pas que toute personne ayant été liée de quelque façon que ce soit à la construction puisse y avoir droit.

C’est ce que nous a rappelé la Cour du Québec dans l’affaire 10307220 Canada inc. (Nordikasa) c. 3013774 Canada inc. (Construction Lalonde), 2022 QCCQ 2535.

Les faits

Il s’agit de demandes en radiation d’hypothèques légales, en vertu de l’article 2731 du Code.

La demanderesse 10307220 Canada inc. [Nordikasa] est propriétaire de terrains dans les Laurentides. Elle a développé un concept visant la vente et la promotion de maisons de petites dimensions, aussi appelées mini maisons, qu’elle vend « sur plan » à des clients désirant se faire construire dans la région.

Ne bénéficiant d’aucune expérience en construction et n’ayant pas d’employés qualifiés pour effectuer les travaux, Nordikasa conclut un contrat avec 3013774 Canada inc. [Construction Lalonde] pour la construction des maisons achetées par ses clients.

À la suite de la réalisation de divers travaux, tant directement que par l’entremise de divers sous-traitants, Construction Lalonde inscrit, le 25 juin 2020, deux avis d’hypothèque légale de la construction sur les immeubles concernés. Nordikasa et quelques clients, qui sont devenus entretemps propriétaires des terrains sur lesquels les maisons ont été construites, entreprennent des recours en radiation de ces hypothèques légales.

La position des parties

En vue d’obtenir la radiation des hypothèques légales de la construction, Nordikasa et ses clients allèguent que le contrat intervenu entre Nordikasa et Construction Lalonde n’était qu’un simple contrat de gestion de chantier. Selon eux, le rôle de Construction Lalonde était de coordonner le chantier et d’aviser Nordikasa lorsqu’elle devait effectuer des déboursés aux sous-traitants et fournisseurs. Les demandeurs postulent donc que Construction Lalonde, en sa qualité de simple gestionnaire des travaux, ne fait pas partie de la liste des intervenants pouvant bénéficier de l’hypothèque légale de la construction.

Construction Lalonde soutient pour sa part qu’elle a agi en tant qu’entrepreneur, puisque son rôle était de « procéder à la construction, de A à Z, des deux mini maisons devant être livrées, et ce, en effectuant directement certains travaux, en mandatant les divers sous-traitants, en surveillant leurs travaux et en remettant, au bout du compte, un immeuble construit » [par 8].

Comme la Cour le rappelle, cette distinction entre le rôle de gestionnaire de travaux et celui d’entrepreneur général est centrale au débat, étant donné qu’« un simple gestionnaire de chantier ne se qualifie pas, au sens de la jurisprudence pertinente, à titre d’intervenant pouvant bénéficier d’une hypothèque légale de la construction » [par 27].

Décision

La Cour retient que Construction Lalonde effectuait directement des travaux de charpente, d’excavation et de finition intérieure. Son contremaître était d’ailleurs présent sur le chantier pendant toute la durée des travaux, de sorte que Construction Lalonde supervisait la totalité du travail accompli par les sous-traitants. La Cour ne peut donc pas conclure que le contrat entre Nordikasa et Construction Lalonde était un simple contrat de gestion de chantier, puisque cette dernière détenait le rôle de constructeur et qu’elle a véritablement agi en tant qu’entrepreneur au sens du Code. La Cour retient également que c’est Construction Lalonde qui a effectué les paiements aux sous-traitants et aux fournisseurs pour les travaux de charpente, de peinture et pour la dalle de béton.

Ainsi, selon la Cour, afin de déterminer si Construction Lalonde fait partie de la liste des intervenants pouvant bénéficier de l’hypothèque légale, il faut analyser les gestes posés par elle pendant le déroulement des travaux, et non pas simplement s’arrêter à la façon dont les parties la qualifient ou le titre qu’elle porte au contrat. 

Conclusion

Cette décision rappelle une fois de plus l’importance d’analyser le comportement des parties lors de l’exécution du contrat, afin de déterminer le type d’entente dont il s’agit et d’établir les droits en découlant. Ainsi, pour un entrepreneur en construction, peu importe le titre que portera le contrat, ce sont les gestes réellement posés pendant l’exécution des travaux qui détermineront si, oui ou non, une partie se qualifie à titre d’intervenant pouvant bénéficier d’une hypothèque légale de la construction.

De façon collatérale, cette décision rappelle également l’importance pour des parties en position similaire de bien choisir le type de contrat qu’elles concluront. En effet, bien que le contrat de gestion puisse présenter certains avantages par rapport au contrat d’entrepreneur général, notamment quant à la disponibilité des liquidités et à la responsabilité face aux sous-traitants, les services de gestionnaire de chantier, à eux seuls, ne donneront généralement pas droit à l’hypothèque légale de la construction et au levier important que celle-ci représente en cas de non-paiement.

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