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L’affaire Cadieux : neuf ans de dérive pour l’employeur et le syndicat — un congédiement simple à première vue

Le 6 avril, la Cour d’appel du Québec, dans Cadieux c. Greyhound Canada Transportation Corp., 2020 QCCA 498, décidait qu’un employé syndiqué, congédié par son employeur, ne possédait pas l’intérêt juridique suffisant afin de se pourvoir personnellement et directement en contrôle judiciaire d’une sentence arbitrale, dans le cadre d’un conflit d’intérêts important et manifeste du syndicat. Autrement dit, l’employé ne pouvait court-circuiter le syndicat afin de contester lui-même son congédiement.

Cette décision faisait suite à un congédiement survenu neuf ans plus tôt. Brian Cadieux, alors chauffeur d’autobus pour la compagnie Greyhound, fut congédié le 20 avril 2011, son employeur lui reprochant de ne pas respecter les périodes minimales de repos lors de ses assignations et de ne pas inscrire correctement ses heures de travail dans le « logbook ». C’était, somme toute, un congédiement simple.

Un employé qui se débat comme un diable dans l’eau bénite

Un grief de congédiement ayant été déposé par le syndicat, une entente fut conclue entre l’employeur et le syndicat par lequel le syndicat se désistait de ce grief. Comme le démontra la suite des choses, l’employé n’avait de toute évidence pas consenti à une telle entente.

Il s’ensuivit ainsi une longue saga devant les tribunaux. D’abord, M. Cadieux se débattit longuement quant au devoir de juste représentation du syndicat, avant d’en arriver à une décision tranchant finalement en sa faveur, soit qu’il y avait eu violation du devoir de juste représentation par le syndicat.

Le syndicat fut condamné par le Conseil canadien des relations industrielles [CCRI] à payer des honoraires d’avocats de l’employé mais surtout, il fut condamné à payer une partie importante de l’éventuelle indemnité de perte de salaire, en cas de gain de cause de l’employé devant le tribunal d’arbitrage. Cette partie de l’indemnité à être payée par le syndicat correspondait en fait à un montant d’environ 350 000 $, soit une période de plus de quatre ans de salaire.

Un arbitrage suivit et l’arbitre donna raison à l’employeur en rejetant les deux griefs de M. Cadieux.

Un employeur et un syndicat qui ne sont pas au bout de leurs peines

Entre autres procédures, ce dernier déposa alors personnellement une demande de contrôle judiciaire devant la Cour supérieure du Québec, sans l’assentiment de son syndicat. La Cour supérieure déclara que M. Cadieux n’avait pas l’intérêt juridique requis pour contester personnellement la sentence arbitrale, d’où l’appel visé par le présent commentaire.

La Cour d’appel approuve, à deux voix contre une, le jugement rendu par la Cour supérieure. En cela, elle se base sur la jurisprudence antérieure1, en indiquant que malgré la décision du CCRI ayant déclaré la violation du devoir de juste représentation du syndicat préalablement à l’audition en arbitrage, à chaque étape, l’employé doit toujours d’abord demander au syndicat de déposer un grief ou de se pourvoir en contrôle judiciaire de la sentence arbitrale et ensuite, en cas de refus du syndicat, adresser une demande au CCRI pour cause de violation du devoir de juste représentation. Tout doit donc d’abord passer par le syndicat.

L’issue est heureuse pour l’employeur et le syndicat mais à quel prix? Pour reprendre les propos de l’honorable juge Gascon dans l’arrêt Commission scolaire de Laval c. Syndicat de l’enseignement de la région de Laval2, quoique émis dans un contexte différent : « La mission du système d’arbitrage de grief de fournir aux employeurs et aux salariés une justice accessible, expéditive et efficace a été oubliée. » Rappelons que le congédiement de M. Cadieux avait eu lieu neuf ans auparavant.

Une dissidence qui aurait coupé court au processus usuel

Il est intéressant de noter la dissidence de la juge Hogue. Celle-ci reconnait dans un premier temps le principe clair à l’effet que l’employé syndiqué n’a pas l’intérêt juridique suffisant afin de se pourvoir personnellement et directement en contrôle judiciaire d’une sentence arbitrale. Toutefois, elle considère que le dossier présente des circonstances particulières faisant en sorte qu’il y a lieu de déroger à ce principe. Ces circonstances particulières en l’espèce sont principalement le conflit d’intérêt manifeste et significatif affectant le syndicat faisant en sorte qu’il serait inéquitable pour un employé syndiqué désirant faire valoir ses droits de devoir s’en remettre préalablement à un syndicat étant clairement en conflit d’intérêts important. La juge Hogue décrie également les très importants délais écoulés depuis le congédiement et les nombreuses auditions contestées ayant eu lieu dans le dossier afin de justifier sa décision.

À retenir pour les employeurs

Enfin, la morale de l’histoire à retenir pour tout employeur est de toujours tenter de prévoir les risques judiciaires et financiers accompagnant une fin d’emploi, autant avant la fin d’emploi afin de bien la gérer que lors de la négociation d’un règlement suite à la fin d’emploi. Comme le dit l’expression, il faut voir l’arbre et sa forêt. De même, un employeur en milieu syndiqué, afin d’éviter un tel dérapage, aura avantage à s’assurer qu’un employé faisant l’objet d’un congédiement consent à un règlement à intervenir entre l’employeur et le syndicat en lien avec un grief faisant suite à un congédiement.

1 Cinq-Mars c. Montréal (Ville de), 2016 QCCA 1665, demande d’autorisation à la Cour suprême rejetée, 16 mars 2017, no 37344 et Noël c. Société de l’énergie de la Baie James, 2001 CSC 39, [2001] 2 RCS 207.

2 Commission scolaire de Laval c. Syndicat de l’enseignement de la région de Laval, 2016 CSC 8, [2016] 1 RCS 29.

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