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Droit de refus, dichotomie du danger et du risque

À la suite d’une décision du gouvernement du Québec de permettre la reprise des opérations commerciales dans les secteurs manufacturier, du commerce de détail et de la construction, une question revient constamment : celle de l’application de la notion du droit de refus. Plusieurs employeurs se questionnent à savoir si un employé peut refuser de revenir travailler après un rappel à la suite du redémarrage qui doit avoir lieu d’ici le 25 mai.

Le droit de refus institué par l’article 12 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail [« LSST »] permet au travailleur qui juge que la tâche qu’il a à exécuter constitue un danger pour sa santé, sa sécurité ou son intégrité physique ou celle de ses collègues de travail de refuser d’exécuter cette tâche. La LSST prévoit que, dans un tel cas, seul un inspecteur de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (« CNESST ») peut trancher la question.

Le public en général et les employeurs en particulier ont associé ce droit de refus à la possibilité pour un travailleur rappelé au travail de refuser de revenir à son poste comme requis. S’agit-il là d’un droit de refus au sens de l’article 12 LSST?

Là se situe la dichotomie entre la notion de danger et de risque. Le simple fait de revenir au travail dans un contexte de pandémie constitue en soi un risque pour tout travailleur, quel que soit le secteur d’activité. Questionné à ce sujet lors de la conférence de presse du 28 avril dernier, le ministre de l’Économie et de l’Innovation, Pierre Fitzgibbon, a esquivé la question en insistant davantage sur les mesures sanitaires mises en place par les employeurs, basées sur les directives de la CNESST, qui devraient rassurer le travailleur, l’incitant ainsi à revenir au travail.

Alors que l’article 12 LSST parle de danger, nous sommes ici face à un risque. Ces deux notions sont distinctes et doivent être analysées séparément. Le danger doit être immédiat, alors que le risque est souvent relié à une perception ou à une crainte de la part de l’employé.

Le refus de revenir au travail lorsqu’un travailleur est rappelé ne peut, quant à nous, être associé à un refus de travail au sens de l’article 12 LSSST. Il devrait être traité autrement et selon des normes et des règles différentes. Des questions se posent à tout employeur en cas de refus d’un employé de revenir au travail à la suite de son rappel :

  • quelles sont les conséquences pour l’emploi du travailleur?
  • quelles sont les conséquences pour son droit aux prestations d’assurance emploi ou encore aux prestations prévues par la Prestation canadienne d’urgence?

Autant de questions qui demeurent à débattre et qui devront être analysées au cas par cas.

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Auteurs

Jean Denis Boucher, CRIA

Avocat, associé et chef du groupe de Droit du travail et de l'emploi

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