Bulletins

131

La Cour suprême se prononce sur la validité des clauses de non-responsabilité dans les contrats commerciaux

La Cour suprême du Canada rendait récemment une importante décision dans 6362222 Canada inc. c. Prelco inc., 2021 CSC 39, qui pourrait avoir un impact majeur sur les contrats commerciaux conclus au Québec. La Cour s’est prononcée sur la validité d’une clause de responsabilité limitée à la lumière des règles sur le manquement à une obligation essentielle.

L’origine du problème : un contrat mal exécuté

En 2008, Prelco, une entreprise manufacturière, retient les services de Créatech, cabinet de services-conseils, pour obtenir un logiciel et des services professionnels permettant d’améliorer ses processus de fonctionnement. Le contrat intervenu entre les parties comporte une clause de responsabilité limitée :

La responsabilité de Créatech face au client pour les dommages attribuables à quelque cause que ce soit et sans égard à la nature de l’action, qu’elle soit prévue à l’entente ou délictuelle, sera limitée aux sommes versées à Créatech aux termes de l’Entente, à moins que de tels dommages ne résultent de la négligence grossière ou de l’inconduite volontaire de Créatech. Si tels dommages résultent de la déficience des services, la responsabilité de Créatech sera limitée au montant des honoraires payés relativement auxdits services déficients.

Créatech ne pourra être tenu responsable pour quelconque dommage résultant de la perte de données, de profits ou de revenus ou découlant de l’utilisation de produits ou pour tout autre dommage particulier, consécutif ou indirect relativement aux services et/ou matériaux fournis en vertu de l’Entente, à moins que tel dommage ne résulte de la négligence grossière ou de l’inconduite volontaire de Créatech. [par 11]

L’implantation du système développé par Créatech est cependant marquée par de nombreuses embûches. De guerre lasse, Prelco met fin au contrat en 2010 et confie à une autre firme la réalisation d’un système fonctionnel.

Prelco intente une démarche judiciaire contre Créatech, réclamant plus de 6,2 millions de dollars pour frais encourus et perte de profits. Créatech invoque en défense la clause précitée.

Droit applicable

Au soutien de sa position, Prelco plaide que la clause de responsabilité limitée au contrat est inopérante, sur le fondement de la théorie du manquement à une obligation essentielle, prévoyant qu’une clause qui exonère ou limite la responsabilité d’une partie est sans effet si elle porte sur l’essence même de l’obligation.

La règle de la validité de principe des clauses de non-responsabilité découle de la liberté contractuelle des parties. Pour des motifs liés à l’ordre public, l’article 1474 du Code civil du Québec [CcQ] interdit les clauses de non-responsabilité quant à l’exclusion de la faute lourde ou intentionnelle de même qu’à l’égard d’un préjudice corporel ou moral. De la même façon, en vertu de l’article 1437 CcQ, une clause limitant la responsabilité d’une partie est inopérante dans les contrats d’adhésion ou de consommation.

Nous sommes ici en présence d’un contrat de gré à gré, dont les clauses ont pu être négociées librement entre les parties. Une clause limitant la responsabilité d’une partie peut donc y être intégrée.

La Cour s’est ensuite penchée sur la question de l’exigence de réciprocité des obligations : si une partie est libérée de l’ensemble de ses obligations, la relation entre les parties ne comporte plus la réciprocité qui est de l’essence même du contrat en vertu de l’article 1371 CcQ.

Certes, la Cour note que bien que les prestations que pouvait retirer chaque partie du contrat pouvaient être déséquilibrées, la clause ne faisait pas disparaître la réciprocité du contrat. Malgré l’application de la clause, Prelco pouvait conserver le système intégré et réclamer certains dommages.

Partant, la clause permettant à Créatech d’exclure sa responsabilité étant valide, Prelco n’a pas droit d’être indemnisée pour les réclamations des clients et les pertes de profits sur les ventes réalisées et les ventes perdues [par 104].

Cette décision aura assurément un impact sur les contrats commerciaux, tout en reconnaissant davantage de latitude pour négocier des clauses limitant la responsabilité d’une partie et régissant le montant des dommages pouvant être accordés en cas d’inexécution.

131

Articles dans la même catégorie

Quand le remède devient le litige : la responsabilité médicale sous la loupe

Dans l’affaire N.L. c. Mathieu, 2025 QCCS 517, la Cour supérieure rejette l’action en responsabilité médicale intentée par une enseignante contre son ancien médecin de famille dans laquelle elle réclamait plus de 1,9 M$ en dommages. La demanderesse reprochait à son médecin de lui avoir prescrit pendant plusieurs années des médicaments de façon inappropriée, sans […]

Le projet de loi 89 et l’avenir des conflits de travail au Québec

Adopté le 29 mai 2025 par l’Assemblée nationale, le projet de loi 89 (la Loi visant à considérer davantage les besoins de la population en cas de grève ou de lock-out, ci-après la « Loi ») entrera en vigueur le 30 novembre 2025. Vigoureusement contestée par les syndicats, la Loi transformera significativement le paysage des relations industrielles […]

Vices cachés : dénoncer oui, mais à qui, quand et comment? La Cour d’appel répond

Le 26 septembre dernier, dans le cadre d’un recours en vices cachés, la Cour d’appel dans Meyer c. Pichette (Succession de Morin), 2025 QCCA 1193, confirme un jugement de première instance ayant rejeté des actions en garantie portées contre des anciens vendeurs en raison du défaut de transmettre un d’avis de dénonciation suffisant avant la […]

Il ne faut pas croire tout ce qu’on lit sur les réseaux sociaux…

Dans une décision récente, Boucal c. Rancourt-Maltais, la Cour supérieure revient sur les principes applicables en matière de diffamation. Faits La Défenderesse est membre d’un groupe Facebook privé nommé « Féministes Bas-St-Laurent ». Sur ce groupe, Mme Khadidiatou Yewwi aurait publié un témoignage concernant le Demandeur. Se disant interpellée par ce témoignage, et ayant elle-même eu vent […]

La fenêtre de la discorde et les policiers

Dans l’affaire Souccar c. Pathmasiri rendue le 11 juin dernier, la Cour supérieure a été appelée à se prononcer sur une poursuite en responsabilité civile fondée sur une arrestation et une détention alléguées comme abusives. Ce litige trouve son origine dans un différend de copropriété à propos de la pose de fenêtres. L’intervention policière En […]

À même approche, même résultat… Encore une fois!

En juin dernier, nous avions publié une infolettre relativement à la décision Michel Grenier c. Me Julie Charbonneau, Roger Picard et Conseil de discipline de l’Ordre des psychologues du Québec. Cette décision faisait suite à la présentation par les Défendeurs de Demandes en irrecevabilité et rejet, lesquelles ont été accueillies en première instance. Au moment […]

Soyez les premiers informés

Abonnez-vous à nos communications