Dans un arrêt rendu le 20 juin 2017 (Chubb Insurance Company of Canada c. Domtar inc., 2017 QCCA 1004), la Cour d’appel confirme qu’une assurée ne peut opposer à son assureur le secret professionnel pour refuser de lui remettre les opinions de ses avocats qui l’ont motivée à régler une action intentée contre elle.
En 1998, Domtar [« l’assurée »] avait conclu une transaction avec Weston qui prévoyait des pénalités dans le cas où Domtar ferait l’objet d’une prise de contrôle. Huit ans plus tard, Domtar convient d’une fusion avec Weyerhaeuser par une combinaison.
Weston est d’avis que la combinaison entraîne l’application de la pénalité prévue au contrat. Domtar refusant de verser ladite pénalité, Weston intenta une action en Ontario, lui réclamant la somme de 110 M$. Cette action fut réglée dans le cadre d’une médiation pour un montant de 50 M$.
Sur réception d’un avis de sinistre et après étude du dossier, Chubb nia couverture et refusa de prendre fait et cause pour Domtar.
Domtar a donc poursuivi Chubb au Québec, lui réclamant le montant versé à Weston, soit la somme de 50 M$, ainsi que ses frais de défense.
Notons que Domtar alléguait que le règlement intervenu avec Weston était raisonnable.
Dans le cadre des procédures au Québec, les parties conviennent d’échanger des pré-engagements. Chubb désirait obtenir les documents, correspondances et opinions légales en lien avec le recours Weston/Domtar. Domtar invoqua le fait que ces documents étaient protégés par le secret professionnel avocat-client.
Le juge de première instance donna raison à Domtar, tout en déclarant qu’on ne pouvait pas renoncer implicitement au secret professionnel.
La Cour d’appel, à l’unanimité, mais cependant pour des motifs différents, conclut que Domtar ne pouvait opposer à Chubb le privilège du secret professionnel et devait lui communiquer les documents demandés.
Le juge Schrager, dont les motifs étaient partagés par le juge Mainville, était d’avis qu’en raison de la réclamation de Domtar, la Cour devait décider si la perte était couverte par les termes de la police et si le règlement intervenu avec Weston était raisonnable dans les circonstances. Se fiant sur la doctrine « at issue », la majorité de la Cour d’appel était d’avis que l’assurée référait implicitement par sa demande à des informations privilégiées qui devenaient alors des questions en litige. Ces sujets étant mis de l’avant par l’assurée, cette dernière ne pouvait donc invoquer le privilège du secret professionnel pour éviter de communiquer à l’assureur les documents demandés.
Le juge Vézina, quant à lui, fut d’avis qu’en vertu de l’article 2471 C.c.Q., Domtar était tenue de faire connaître à Chubb toutes les circonstances entourant le sinistre. Elle ne pouvait réclamer à Chubb une indemnité d’assurance et à la fois lui refuser la possibilité de vérifier s’il y a couverture du risque invoqué et si les dommages versés à Weston étaient justifiés dans les circonstances. Selon le juge Vézina, tous les documents requis par l’assureur « sont au cœur de l’information » que l’assurée est obligée de fournir à son assureur.
Aussi, selon lui, en ce qui concerne les documents visant les effets de la combinaison, Domtar avait renoncé au privilège du secret professionnel puisqu’elle avait déjà divulgué ces informations à Weyerhauser dans le cadre des négociations tenues en 1998. Il ne pouvait donc plus y avoir de secret.
Cet arrêt est donc très important puisque la Cour d’appel, se fiant sur la doctrine « at issue », déclare qu’un assuré doit communiquer à son assureur tous les documents et communications ayant trait au litige sous-jacent pour lequel il demande une indemnisation, y compris les opinions obtenues de ses avocats, et ce, sans pouvoir invoquer le privilège du secret professionnel, lorsque la nature de la réclamation met en question les conseils juridiques qu’il a reçus.