Le 6 avril, la Cour d’appel du Québec rendait sa décision dans SNC-Lavalin inc. (Terratech inc. et SNC-Lavalin Environnement inc.) c. Deguise, 2020 QCCA 495. Compte tenu de l’importance de cette décision tant pour l’industrie de la construction que pour celle de l’assurance, RSS a entrepris de brosser un portrait des règles qui y sont illustrées. Le présent texte constitue un des volets du tableau complet que l’on trouvera ici. |
Ce dossier est connu comme la « cause de la pyrrhotite », du nom d’un des composants que l’on trouve dans le béton qui fut utilisé dans la construction de certains immeubles de la région de Trois-Rivières. La pyrrhotite provoquait une réaction chimique dans le béton qui fut utilisé dans les fondations de ces immeubles, causant des problèmes structurels qui se sont traduits par de nombreux litiges visant les intervenants à la construction de même que certains assureurs.
L’une des parties au dossier était SNC-Lavalin inc. [« SNC »], qui bénéficiait d’une couverture offerte par un système de multiples polices d’assurance de responsabilité désigné sous le vocable de « tour d’assurances ». Assurance ACE INA [« ACE »] était assureur excédentaire et couvrait la responsabilité professionnelle de SNC entre le 31 mars 2006 et le 31 mars 2012. Selon la preuve, ACE, aurait accepté de participer au système du « follow form » (ci-après « follow form ») qui oblige les assureurs participant à la tour d’assurances de respecter les termes et conditions de la police de référence.
Malgré ce fait, ACE soutenait que les réclamations contre SNC dépendaient d’une faute commise avant le 31 mars 2006 et que sa police comportait une clause rétroactive excluant les réclamations pour des erreurs commises avant cette date, ce qui la libérait de ces réclamations.
La Cour supérieure devait décider si ACE, qui avait accepté le « follow form », pouvait stipuler une telle clause de rétroactivité dans sa police alors que la police de référence ne contenait aucune limite du genre. Elle conclut que, selon la preuve, la proposition d’assurance de SNC exigeait un tel système de « follow form ». Partant, l’insertion d’une clause rétroactive était inconciliable et la preuve révéla que SNC n’avait jamais eu l’intention de négocier ou d’accepter une telle clause restrictive. La Cour a également noté que tout amendement à une police d’assurance devait se faire par la remise d’une copie de l’acte, aux termes de l’article 2400 du Code civil du Québec [« CcQ »]. L’inclusion d’une clause rétroactive dans la police d’ACE, telle que renouvelée pour 2008–2009, constituait une modification au contrat d’assurance initial. ACE avait le fardeau de prouver qu’elle avait clairement avisé SNC de la réduction des obligations qu’elle assumait, ce qui n’avait pas été fait. La Cour a ajouté que la police d’ACE ne stipulait pas une vraie date rétroactive : seuls les documents accessoires à la police contenaient une telle mention.
La Cour d’appel s’est penchée sur trois questions : les restrictions découlant du « follow form », et la validité de l’inclusion par ACE d’une date rétroactive alors que la police de référence n’en contenait pas; la qualification d’une date rétroactive comme divergence aux termes de l’article 2400 CcQ, précisant que la réponse se trouve dans la preuve retenue par la Cour supérieure; et l’analyse des faits sur lesquels ACE s’appuyait pour soutenir la validité de la clause rétroactive.
Le système « follow form »
La Cour d’appel a rejeté l’argument d’ACE selon lequel le « follow form » ne serait qu’un concept flou, soulignant qu’il fait l’objet d’une reconnaissance satisfaisante dans l’industrie. S’appuyant sur les auteurs et les précédents, elle a conclu que les polices d’un tel système devaient offrir la même couverture que la police de référence, prévoient généralement des couvertures identiques et font l’objet des mêmes exclusions que la police de référence. La Cour s’est appuyée sur le témoignage du directeur du Service des risques financiers de SNC et a conclu que la compréhension qu’avait ce témoin du « follow form » était semblable à ce qui ressort des auteurs et de la jurisprudence. Les représentants d’ACE faisaient preuve d’une connaissance similaire. La Cour a souligné qu’en droit civil québécois, même si une obligation n’est pas expressément stipulée dans un contrat, l’article 1434 CcQ permet d’y suppléer. Le contrat lie les parties non seulement à l’égard de ce qui y est dit expressément mais également pour tout ce qui en découle d’après sa nature et suivant les usages. Dans le cas présent, la Cour a conclu que les usages et la nature du contrat d’assurance étaient conformes au « true follow form ». De même, l’intention clairement exprimée par SNC permettait
1010 […] d’inférer un « contenu obligationnel implicite » au contrat d’assurance intervenu entre chacun des assureurs en vertu d’une police excédentaire de ce type et le preneur. En vertu de ce contenu obligationnel, un assureur excédentaire ne peut donc imposer, au détriment du preneur, de nouveaux termes ou de nouvelles conditions qui ne figurent pas dans la police de référence. [1011] De plus, cette obligation comporte la garantie implicite envers l’assuré qu’il pourra compter sur une couverture constante selon laquelle « the higher layers of coverage follow consistently the lower layers. In this way it is anticipated there are no unexpected “gaps” in coverage when claim values ascend the layers or “tower” of coverage ». Cet engagement est primordial puisqu’il procure à l’assuré la sécurité juridique liée à l’homogénéité des obligations contractées à son égard par les assureurs, peu importe la position qu’ils occupent dans la tour d’assurance. |
La Cour d’appel a conclu qu’ACE avait accepté l’invitation du courtier de se joindre à la tour d’assurance, tout en respectant les termes et obligations prévus à la police d’assurance de référence.
L’inclusion d’une date de rétroactivité
La Cour a déclaré qu’en principe, rien n’interdit de stipuler une date de rétroactivité. Toutefois, en présence d’un contrat suivant le « follow form », la Cour s’est demandé si la clause respectait les éléments fondamentaux de la police de référence. La Cour a conclu que non seulement SNC souhaitait que toutes les polices respectent les termes et conditions de la police de référence, mais encore qu’ACE avait accepté cette proposition. La Cour a ensuite fait allusion à la police de référence. Le procès avait donné lieu à une discussion afin de déterminer quelle était la véritable police de référence. Le tribunal de première instance avait conclu que c’était un faux débat puisque les polices d’AIG et des Lloyd’s étaient libellées en des termes presque identiques et que la clause 2.2 s’appliquait, puisqu’ACE avait accepté d’adapter ses polices selon le « true follow form » :
2.2 The Insured may obtain separate insurance in respect of all or any part of the amount stated in paragraph B) of the Schedule, but the coverage provided by such separate insurance shall be identical to that as provided herein. |
ACE a soutenu que la clause suivante lui donnait implicitement le droit d’inclure une clause rétroactive dans sa propre police, même si la police de référence était muette à cet effet :
1. INSURING CLAUSE: [AIG] […] 1.2 Where a retroactive limitation date is specified in the Declaration this Policy will not apply to any Claim made against the Insured by reason of any error, omission, or negligent dishonest fraudulent criminal or malicious act, or breach, committed or alleged to have been committed (or loss or destruction or damage occurring or alleged to have occurred) prior to such retroactive limitation date. INSURING CLAUSE [Lloyd’s] […] 1.2 Where a retroactive limitation date is specified in the Schedule this Policy will not apply to any Claim made against the Insured by reason of any error, omission, or negligent dishonest fraudulent criminal or malicious act, or breach, committed or alleged to have been committed (or loss or destruction or damage occurring or alleged to have occurred) prior to such retroactive limitation date. |
La Cour d’appel a conclu que puisqu’ACE avait accepté d’appliquer à ses polices le « follow form », elle devait stipuler des clauses fondamentales identiques à celles de la police de référence afin de suivre de façon continue les étages inférieurs de la tour d’assurance. En dépit de la clause 1.2, l’assureur primaire avait renoncé à stipuler dans sa police une limitation de la nature d’une date de rétroactivité. ACE mis à part, tous les autres assureurs faisant partie de la tour d’assurance pour 2009–2010 avaient reconnu leurs obligations envers SNC pour les réclamations liées à la pyrrhotite. Cette application contradictoire des polices excédentaires démontre que la police d’ACE ne reconnaissait pas à ses assurés une couverture comparable à celle qu’offraient les autres assureurs de la tour. ACE s’était engagé à respecter le système du « follow form » et de fournir une protection continue conforme à la police de référence. La stipulation d’une rétroactivité dans sa police était incompatible avec le contenu de la police de référence. Le juge de première instance a eu raison de conclure que la police de référence devait prévaloir.
La question de la divergence
Il s’agit là d’une question de fait et le témoignage du représentant de SNC traduit sans équivoque que cet assuré s’attendait à être couvert pour les fautes antérieures. En tentant d’imposer une date de rétroactivité, ACE a dérogé aux obligations inhérentes du système « follow form ». Le juge de première instance ne s’est pas trompé en concluant qu’en cas de conflit entre la police de référence et celle d’ACE, la police de référence devait prévaloir. La stipulation par ACE d’une rétroactivité constituait une différence entre la proposition de SNC, qui exigeait l’application du système « follow form », et certaines polices d’assurances stipulant qu’une telle limite était inconciliable avec la police de référence. Puisqu’ACE n’avait pas démontré dans un document distinct cette différence entre sa police et celles des autres assureurs, et l’acceptation de cette rétroactivité par SNC, la police de référence devait prévaloir. La particularité de la police d’ACE n’était pas opposable à SNC en vertu de l’article 2400 CcQ.