L’adage disait « The King can do no wrong », mais ce n’est plus tout à fait vrai. Si, à une certaine époque, les décisions de l’État étaient pratiquement incontestables, l’évolution du droit a fait en sorte que certaines décisions puissent être révisées par les tribunaux dans certaines circonstances. Ainsi, dans Maltais c. Procureure générale du Québec, 2020 QCCA 715, la Cour d’appel a récemment énoncé que l’État pouvait agir en mauvais voisin, mais que son immunité lui évitait d’être tenu responsable des dommages découlant de ces troubles de voisinage.
Petit retour sur les faits. En 1963, l’autoroute Laurentienne (A-73) est inaugurée dans la région de Québec. Avec le temps, les véhicules y circulant se font de plus en plus nombreux et l’autoroute est donc de plus en plus bruyante, au point où les propriétaires de résidences se situant à proximité commencent à se plaindre du bruit et demandent aux autorités de mettre en place des mesures d’atténuation. Pourparlers entre les autorités municipales et provinciales, études sur la pollution sonore, nouvelles mesures pour prévenir cette même pollution, mais toujours pas de solution pour les résidents incommodés. L’un d’entre eux dépose donc une demande d’autorisation d’exercer une action collective le 1er mai 2009, mais la Cour supérieure refuse cette demande un an plus tard à cause de l’immunité de l’État. La Cour d’appel infirme toutefois cette décision en juillet 2011 et autorise l’action collective, statuant que la question de l’immunité devait être tranchée au fond et non pas au stade de l’autorisation.
Entre temps, un projet pilote de construction d’écran antibruit voit le jour. Devant les résultats concluants, l’action collective est modifiée pour exiger que le reste du mur antibruit soit construit.
Le juge de première instance qui entend le fond de l’affaire conclut que les résidents concernés et le ministère des Transports du Québec [MTQ] sont effectivement voisins, mais refuse de constater que le MTQ agit uniquement comme gestionnaire du tronçon de route en cause. Le juge conclut aussi que dans certains cas, les mesures de bruit dépassent le seuil de la tolérance et constituent donc un trouble de voisinage au sens de l’article 976 du Code civil du Québec [CcQ]. Le juge écarte toutefois la commission d’une faute au sens de l’article 1457 CcQ par le MTQ dans l’application de ses politiques et directives en matière de bruit. Le juge rappelle de plus que le fait qu’il y ait contravention à la Loi sur la qualité de l’environnement ou possiblement à des articles de la Charte des droits et libertés de la personne ne constitue pas une faute civile en soi et que cette même notion de faute doit être démontrée.
Par ailleurs, le juge de première instance indique que la décision de prendre des mesures d’atténuation du bruit constitue une décision de nature politique qui repose sur diverses considérations qui ne se limitent pas au niveau de bruit. Ainsi, en présence d’une intervention politique, mais sans une preuve de mauvaise foi ou de décision irrationnelle, l’immunité de l’État continue de s’appliquer.
En appel, le demandeur représentant du groupe met en doute l’application de l’immunité de l’État.
La Cour d’appel révise d’abord le concept de trouble de voisinage dans le présent contexte. Ainsi, bien que ce ne soit pas le MTQ qui emprunte la route et donc crée le bruit, le fait que ce soit l’usage de cette route qui cause le bruit et que cet usage soit autorisé par le MTQ à titre de propriétaire est suffisant pour constituer un trouble de voisinage, sans qu’il soit nécessaire de démontrer que l’État a commis une faute en ce sens.
La Cour d’appel indique qu’un régime particulier de responsabilité s’applique à l’État, lequel comprend les règles reconnaissant son immunité à l’égard des décisions politiques générales. Cette immunité ne vise toutefois pas les actes dans les sphères opérationnelles ou de simple gestion, où la notion de simple faute continue de s’appliquer.
La Cour confirme donc que si l’État bénéficie d’une immunité dans le cadre du régime général de faute, il serait incohérent de ne pas appliquer cette même immunité au régime de responsabilité sans faute applicable aux troubles de voisinage.
Par ailleurs, l’appelant soutient que l’État a implicitement renoncé à son immunité du fait que l’article 126 de la Loi sur la qualité de l’environnement assujettisse le gouvernement à ses règles. La Cour a toutefois tranché que cet article, s’il a pour effet d’obliger l’État de se conformer aux exigences de certificats ou de permis, ne porte pas atteinte au régime général de responsabilité civile. L’immunité de l’État n’est donc pas écartée par la volonté du législateur de voir les modalités de la Loi s’appliquer à l’État et que le même raisonnement s’applique à la Charte.
L’existence d’un trouble de voisinage causé par le bruit de l’autoroute est donc considérée comme un trouble excessif de voisinage, mais il n’est pas possible de forcer le MTQ à poser des actions ou à indemniser les résidents incommodés.