Les activités humaines sont clairement identifiées comme la principale cause de l’augmentation rapide des gaz à effet de serre sur la planète, la plus grande cause des changements climatiques1. Malgré l’Accord de Paris, entré en vigueur en 2016 et adopté par 196 pays, dont le Canada, qui vise à fixer un seuil maximal d’augmentation de la température mondiale à 1,5 degré Celsius comparé à la température préindustrielle, les scientifiques s’accordent pour dire que ce seuil est maintenant inatteignable2. Selon les plans de modélisation actuelle, le réchauffement de notre planète devrait plutôt atteindre 2,8 degrés Celsius d’ici la fin du siècle3.
Les changements climatiques ont des conséquences sur plusieurs niveaux, tant sur le climat, nos infrastructures et, bien entendu, la santé-sécurité des humains.
Les évènements météorologiques ont aussi des conséquences économiques majeures, particulièrement dans le domaine de l’assurance, par la multiplication des événements climatiques pouvant possiblement être couverts.
La récurrence des évènements climatiques et l’évolution des connaissances scientifiques
Les connaissances scientifiques sur les évènements climatiques étant en constante évolution ainsi que leur multiplication, une question cruciale se pose : ces événements sont-ils encore réellement imprévisibles?
Les modèles d’analyse de risque accessibles aux assureurs permettent désormais d’anticiper certains risques liés au climat, et ainsi d’évaluer la possibilité de survenance de phénomènes climatiques comme des inondations, ou des feux de forêt.
Dans la foulée des données scientifiques disponibles sur les changements climatiques, et, plus précisément, grâce aux plans de modélisation sophistiqués permettant de cibler des régions à risque d’événements climatiques, n’est-il pas possible de prédire certains événements climatologiques?
Le concept de force majeure à l’épreuve des changements climatiques
Le concept de « force majeure » vient rapidement à l’esprit lorsque l’on pense aux catastrophes naturelles. Selon la définition du Code civil du Québec, il s’agit d’un événement imprévisible et irrésistible qui empêche une partie d’exécuter ses obligations4. Tremblements de terre, tempêtes, incendies, inondations, grèves majeures ou guerres sont des exemples classiques.
Or, les phénomènes comme les inondations ou les feux de forêt sont de mieux en mieux documentés et anticipés, notamment dans les zones identifiées à risque.
Cette évolution fragilise la défense de force majeure.
En effet, les tribunaux semblent de plus en plus adopter une lecture contextuelle : ce qui était imprévisible hier peut être jugé prévisible aujourd’hui. Par exemple, la décision Commission scolaire Kativik c. Roy5 a rejeté l’idée qu’une tempête de neige au Nunavik constituait une force majeure, la jugeant récurrente et donc prévisible.
Pour les assureurs, cette transformation pose un double défi. Notamment, il devient plus difficile d’invoquer des exclusions générales sans libellé précis et limitatif. L’affaire Montcap Financial c. Boréal assurances6 illustre bien cette tendance : le tribunal a ordonné à l’assureur de verser une indemnité à son assurée pour des pertes subies lors de la tempête de verglas de 1998, rejetant les exclusions invoquées pour pannes électriques et variations de température. Il a jugé que la police émise en faveur de l’assuré, dite « tous risques », couvrait par défaut cet événement de force majeure, et que seule une exclusion claire et spécifique aurait pu limiter la couverture d’assurance. À moins d’exclusions claires, les tribunaux tendent à interpréter largement les polices « tous risques » en faveur de l’assuré.
Négation de couverture basée sur l’appréciation du terme « Événement »
Les nouveaux outils scientifiques et les connaissances publiques des zones à risque d’évènements climatiques nous mènent aussi à nous interroger sur la possible émergence de litiges en matière de couverture d’assurance liés à l’analyse de la notion d’« Événement » au sens des polices d’assurance.
Plusieurs de celles-ci définissent la notion d’« Événement » (Occurrence) comme « un accident ou un fait ou un événement, qui n’est ni prévu ni intentionnel du point de vue de l’Assuré ». Cette notion pourrait se retrouver au centre de débats entre les parties au contrat d’assurance en matière de couverture d’un évènement dit climatique.
La décision clé Progressive Home définit d’ailleurs la notion d’accident comme n’étant « ni prévu ni intentionnel ». Plus particulièrement, la Cour suprême indique que :
« [l]a fortuité est intrinsèque à la définition d’accident puisque l’assuré est tenu de prouver que les dommages n’étaient « ni prévus ni voulus par l’assuré ». Cette définition s’accorde avec notre interprétation d’accident : « une mésaventure inattendue ou […] un malheur qui n’était ni prévu, ni recherché. »7
Dans la perspective des changements climatiques, dans la mesure où un assureur pourrait raisonnablement démontrer que « du point de vue de son assuré », les dommages étaient prévisibles, par exemple dans les cas où les propriétés assurées se retrouvent dans des zones inondables, ou des territoires à risque d’incendie ou d’événements de grêle, nous sommes d’avis que certains assureurs pourraient être portés à nier couverture suivant un évènement dit climatique et… prévisible.
Conclusion
L’année 2024 a été l’année la plus couteuse pour l’industrie de l’assurance liée aux événements climatiques au pays : le Bureau d’assurance du Canada évalue les dépenses liées à ses événements à plus de 8.5 milliards de dollars8. Cette augmentation marquée par rapport aux années précédentes9 met en lumière les défis croissants auxquels font face les assureurs, les assurés et, plus largement, la société sur plusieurs niveaux, qu’il s’agisse du retrait d’assureurs de certains marchés, de la hausse des primes d’assurance, de la redéfinition des exclusions ou de la multiplication des litiges en matière de couverture.
Encore très récemment, le 13 juillet dernier, nous avons eu droit au Québec à un autre exemple où la nature s’est déchaînée, entrainant des inondations et glissements de terrain. Face à cette réalité climatique en pleine transformation, il devient incontournable d’adapter les stratégies de couverture et de faire preuve d’innovation.
Notre équipe est disponible pour vous accompagner de l’analyse de ces enjeux et vous fournir son opinion en matière de couverture, le cas échéant.
1Nations Unies, Action Climat, « En quoi consistent les changements climatiques? », en ligne : un.org/fr/climatechange/what-is-climate-change. [Nations Unies]
2Voir entre autres Service de changement climatique C3S de Copernicus, tel que cité dans reporterre.net/le-seuil-de-1-5-OC-de-rechauffement-officiellement-depasse-en-2024.
3Nations Unies.
4Art. 1470 C.c.Q.
5Kativik c. Roy, 2006 QCCS 1887.
6Montcap Financial Corporation c. Boréal assurances inc. 2000 CanLII 18463 (QCCS).
7Progressive Home Ltd c. Cie canadienne d’assurances générales Lombard, Assurances 2010 CSC 33, CanLII [2010] 2 RCS 245, par. 47.
8Bureau d’assurance du Canada, Communiqué de presse, 13 janvier 2025, https://bac-quebec.qc.ca/media/wj4nm1h5/ibc_nr-2025-01-13_natcat_wraprelease_fr.pdf. [BAC]
9Voir BAC (2023 : 3.1 milliards $ de dépenses liées aux événements climatiques et 2001 à 2010 : moyenne des dépenses moyennes des assureurs de 700 millions $ par années.)