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Vente faite à vos risques et périls : est-ce vraiment sans garantie légale ?

La Cour supérieure, sous la plume de l’honorable Steve J. Reimnitz a récemment revisité les règles entourant le dol et la garantie contre les vices cachés dans l’affaire St-Pierre c. Benoit, 2021 QCCS 5491.

Les faits

En 2015, les demandeurs achetaient du défendeur une propriété qu’il avait construite en 1993–1994. Ce contrat faisait suite à une visite des demandeurs et celle d’un inspecteur préachat, au terme desquelles aucune anomalie n’avait été relevée. La déclaration du vendeur ne mentionnait également aucun problème particulier relatif à l’immeuble. Les parties convenaient donc de la vente de l’immeuble en incluant une clause d’exclusion de la garantie légale : la vente était donc aux risques et périls des acheteurs.

En septembre 2017, les demandeurs ont observé des manifestations d’affaissement de l’immeuble. En retirant le plancher de bois franc du sous-sol, ils ont découvert des fissures, ainsi que des indices de nivellement du plancher de béton. Les fissures auraient été antérieurement réparées avec du mortier et le béton se serait subséquemment fissuré au même endroit.

Les demandeurs se sont alors adressés à la Cour afin de demander l’annulation de la vente de l’immeuble, ainsi que des dommages-intérêts à leur vendeur.

Le vice caché

Il appert de la preuve que l’immeuble s’enfonçait dans le sol en raison d’un problème de remblayage et d’absence de compaction du sol au moment de la construction initiale. Il aurait fallu procéder à un « pieutage » afin de stabiliser l’immeuble. De plus, il fut établi que le défendeur a observé le phénomène d’affaissement lors des travaux de ragréage et de réparations de fissures au sous-sol en 2006.

La Cour conclut qu’au moment de la vente, l’immeuble comportait des vices cachés qui le rendaient impropre à l’usage auquel il était destiné et que ces vices existaient au moment de la vente en 2015, mais étaient alors inconnus des acheteurs.

En effet, la Cour conclut que les demandeurs ont agi de manière prudente et ont pris les mesures nécessaires et raisonnables avant d’acheter l’immeuble, notamment en retenant les services d’un inspecteur préachat expérimenté. Le rapport de ce dernier ne soulevait aucune nécessité de procéder à une investigation plus détaillée. Ainsi, considérant l’âge de l’immeuble et la nature des travaux réalisés pour constater le vice, soit la vérification du remblai et du degré de compaction de celui-ci, le vice a été considéré comme caché aux demandeurs.

Au surplus, la Cour se penche sur la notion d’autoconstruction récemment analysée par la Cour d’appel dans l’affaire Blais c. Duchesne, 2021 QCCA 978. En l’espèce, il appert que le défendeur a agi à titre de maître d’œuvre de la construction de l’immeuble, plus particulièrement quant au remblai et à la compaction du sol. La Cour retient également que ce dernier n’était pas néophyte en matière de construction, ayant travaillé deux ans dans ce domaine, ainsi qu’une année spécifiquement en excavation.

En conséquence, la Cour estime que le défendeur ne peut être considéré comme un simple vendeur et doit être assimilé à un fabricant aux termes de l’article 1730 du Code civil du Québec [CcQ]. La Cour mentionne que le fait que le défendeur ignorait le défaut en cause ne pouvait l’exonérer de la présomption de connaissance du vice applicable au fabricant. Comme la présomption trouve application, le défendeur fut condamné, non seulement à la restitution du prix de vente, mais également à payer les dommages et intérêts subis par les acheteurs et résultant des vices cachés affectant l’immeuble.

Le dol

Selon la Cour, les seuls véritables indices du vice étaient l’affaissement de la dalle et les fissures constatées au sous-sol et qui ont fait l’objet de réparation par le défendeur. Or, selon la preuve, cet indice n’a pas été dévoilé aux acheteurs. La Cour conclut que l’enquête préachat des demandeurs et de leur inspecteur aurait pu être différente si le défendeur les avait avisés de ces problèmes qu’il avait constatés et des travaux qu’il avait réalisés alors qu’il était propriétaire de l’immeuble.

Selon la Cour, ces informations étaient d’une importance capitale et le défendeur a ainsi violé son obligation de renseignements en ne les transmettant pas aux demandeurs. Cette faute contractuelle ne peut alors être couverte par le simple ajout de la mention d’un achat « à vos risques et périls ». Au vu de la connaissance du défendeur des fissures et de l’affaissement de la dalle, des travaux de nivellement effectués et de l’absence de transmission de ces informations, la Cour conclut que le défendeur a commis un dol au sens de l’article 1401 CcQ.

Clause « à vos risques et périls »

Quant à la clause d’achat « à vos risques et périls », la Cour conclut que le défendeur a également violé les principes de bonne foi en ne divulguant pas toutes les informations dont il avait connaissance quant à la présence de fissures et des travaux de nivelage qui auraient alors permis de conclure que la fondation s’était en partie affaissée. La Cour juge que ces informations étaient essentielles afin de conclure au consentement des parties. Selon l’article 1401 CcQ, il s’agit d’un manquement à l’obligation de renseignement induit par le silence du défendeur, qui doit ainsi être qualifié de dol viciant le consentement des acheteurs.

En vertu de l’article 1733 CcQ, la clause est ainsi inapplicable en raison du dol commis par le défendeur et du fait qu’il connaissait ou ne pouvait ignorer le vice.

La Cour conclut qu’en vertu des concepts de dol et de la garantie contre les vices cachés, les demandeurs ont droit à l’annulation de la vente, ainsi qu’aux dommages réclamés. Tout comme nous le rappelle si bien la Cour, cette décision illustre parfaitement qu’une vente faite « à vos risques et périls » ne laisse pas les acheteurs sans recours.

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