Le 6 avril, la Cour d’appel du Québec rendait sa décision dans SNC-Lavalin inc. (Terratech inc. et SNC-Lavalin Environnement inc.) c. Deguise, 2020 QCCA 495.
Compte tenu de l’importance de cette décision tant pour l’industrie de la construction que pour celle de l’assurance, RSS a entrepris de brosser un portrait des règles qui y sont illustrées. Le présent texte constitue un des volets du tableau complet que l’on trouvera ici. |
Les faits de l’espèce sont les suivants : la présence de pyrrhotite dans le granulat utilisé par des bétonnières a été la source d’une déformation du béton fourni à des entrepreneurs généraux, ce qui a causé des dommages aux fondations Dans le cadre des procédures de première instance, les propriétaires des immeubles ont poursuivi autant les entrepreneurs que les bétonnières.
L’un des motifs d’appel mis de l’avant par les bétonnières est l’erreur de qualification du juge de première instance, qui, tout en retenant leur responsabilité en se fondant sur l’obligation qui découle de la garantie de qualité, les avait qualifiées de sous-traitants plutôt que de fournisseurs de matériaux. Les bétonnières soumettent qu’elles ne peuvent être tenues à la garantie de l’art. 2118 C.c.Q. Bien que la Cour d’appel considère que cet argument est fondé, il ne change rien à l’ultime responsabilité des bétonnières, qui est engagée en vertu de la garantie de qualité.
La présence de pyrrhotite dans le granulat à béton constitue un vice, bien entendu, mais la preuve de sa seule existence n’est pas suffisante afin d’engager la responsabilité des bétonnières en vertu de l’obligation de garantie du vendeur : il faut que ce vice soit non apparent et inconnu de l’acheteur, comme le prévoit l’article 1726 C.c.Q.
En l’espèce, le débat portait principalement sur la connaissance qu’auraient dû ou non avoir les entrepreneurs de l’existence de ce vice, considérant leurs compétences en tant qu’acheteurs professionnels de béton.
La Cour d’appel rappelle que depuis l’arrêt ABB de la Cour suprême, un fabricant « est assujetti à la présomption de connaissance la plus rigoureuse et à l’obligation la plus exigeante de dénoncer les vices cachés » (ABB Inc. c. Domtar Inc., 2007 SCC 50, [2007] 3 SCR 461, par 41). En l’espèce, le statut de fabricant des bétonnières était incontestable. Ainsi, bien qu’ils se doivent d’être plus vigilants en raison de leur expertise, les acheteurs professionnels, soit les entrepreneurs en l’espèce, ont tout de même le bénéfice de la présomption de connaissance du vice par le vendeur.
En dépit du fait que cette présomption de connaissance du vice pèse sur les entrepreneurs eux-mêmes au moment de la délivrance du béton à leurs propres clients, elle ne s’applique pas en ce qui a trait à leur relation avec les bétonnières. Ils peuvent donc profiter de la garantie de qualité, de même que de la présomption de connaissance du vice par les bétonnières.
L’expertise de l’acheteur est tout de même pertinente dans l’évaluation du caractère apparent d’un vice, puisque plus l’acheteur a une connaissance sophistiquée du bien dont il fait l’acquisition, plus un vice est susceptible d’être considéré comme apparent. Le test pertinent consiste évidemment à se demander si un entrepreneur en construction raisonnable placé dans les mêmes circonstances aurait pu déceler le vice au moment de la vente : le vice était-il apparent pour un acheteur de béton professionnel raisonnablement prudent et diligent?
Afin d’évaluer la capacité des entrepreneurs à déceler le vice dont le béton était affecté, la Cour d’appel procède à l’analyse de deux reproches adressés par le juge de première instance aux entrepreneurs généraux.
Le premier reproche a trait à la méconnaissance d’une norme pointue (CSA A23.1) concernant la composition du béton à laquelle renvoie le Code national du bâtiment, qui est lui-même au cœur de l’obligation de réaliser des travaux selon les règles de l’art. La Cour d’appel souligne que cette disposition s’adresse avant tout aux fabricants de béton, qui ont le devoir de s’assurer de la qualité des composantes de leur produit. Elle met aussi en exergue que la connaissance de cette norme n’aurait pas permis aux entrepreneurs de repérer des traces de vice dans le béton liquide vendu par les bétonnières.
En effet, il n’est pas raisonnable de penser que des entrepreneurs généraux, même s’ils sont au fait de toute la réglementation pertinente, devraient être en mesure de contrôler la qualité du granulat utilisé dans la composition du béton liquide qui est livré sur un chantier.
Qui plus est, la Cour d’appel, mettant l’accent sur le fait que les bétonnières disposaient de la certification « Qualibéton », précise qu’il n’est pas fautif pour un acheteur de présumer qu’un vendeur détenant cette certification fournira un produit qui répond aux normes de qualité prévues par la réglementation.
Le second reproche adressé par le juge de première instance aux entrepreneurs est celui de ne pas avoir posé assez de questions concernant le produit qu’ils avaient l’intention d’utiliser, alors que les problèmes causés par le béton d’une autre entreprise de la région, Béton Maskimo, étaient bien connus. Or, comme les entrepreneurs avaient bel et bien tenté de s’assurer de la qualité du produit en interrogeant parfois à plusieurs reprises les bétonnières, la Cour d’appel estime qu’une vigilance accrue de leur part n’aurait rien changé au déroulement des évènements.
Ainsi, la Cour d’appel déclare que la présomption de l’article 1729 C.c.Q. produit ses effets en faveur des entrepreneurs et avalise la décision du juge de première instance selon laquelle la responsabilité des bétonnières est engagée vis-à-vis des entrepreneurs, en application de l’article 1726 C.c.Q.
La Cour d’appel conclut, par conséquent, que le juge de première instance aurait dû faire droit aux demandes en intervention forcée des entrepreneurs, et que les bétonnières auraient dû être condamnées solidairement à rembourser aux entrepreneurs toute somme que ces derniers pourraient être appelés à payer en raison de condamnations dans les instances principales.