Droit des assurances

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Vices cachés : dénoncer oui, mais à qui, quand et comment? La Cour d’appel répond

Le 26 septembre dernier, dans le cadre d’un recours en vices cachés, la Cour d’appel dans Meyer c. Pichette (Succession de Morin), 2025 QCCA 1193, confirme un jugement de première instance ayant rejeté des actions en garantie portées contre des anciens vendeurs en raison du défaut de transmettre un d’avis de dénonciation suffisant avant la réalisation de travaux correctifs.

Les faits

Une maison construite aux alentours de 1970 est vendue par les Dutil à Mme Gisèle Morin en 1995. Celle-ci la vend ensuite en 2008 à Mme Dominique Meyer. En 2019, Mme Meyer vend la maison à Mme Lisa Barabé et M. Sylvain Tassé (les « Barabé-Tassé »).

À l’automne 2019, quelques semaines après l’acquisition de la maison, les Barabé-Tassé constatent une infiltration d’eau, en avisent Mme Meyer immédiatement et instituent des procédures.

Le 3 février 2022, la maison subit une nouvelle infiltration d’eau. Des ouvertures exploratoires révèlent un problème de condensation murale que les Barabé-Tassé dénoncent à Mme Meyer le 11 février, suivi par une mise en demeure le 14 février. La réalisation de travaux correctifs lors de la première semaine du mois de mai est annoncée. Mme Meyer envoie son expert sur les lieux le 10 mai 2022, mais ne prend aucune autre mesure.

Le 1 juin 2022, dans le cadre de l’exécution des travaux correctifs, les Barabé-Tassé découvrent des signes de pourriture, des problèmes d’isolation et un nid de fourmis charpentières et en avisent Mme Meyer le 10 juin.

Le 2 août 2022, Mme Meyer transmet un premier avis de dénonciation au liquidateur de la succession de M. Morin. Bien que ce dernier se mobilise rapidement pour constater l’état des lieux le 5 août, les travaux correctifs sont déjà achevés.

Mme Meyer institue une action en garantie contre la succession de M. Morin qui à son tour institue une action en arrière garantie contre la succession de M. Dutil. Ces dernières présentent des demandes en rejet fondées sur l’absence d’avis de dénonciation qui sont accueillies par la Cour supérieure concluant au rejet du recours en garantie. Mme Meyer porte le jugement en appel.

L’arrêt de la Cour d’appel

Dans le cadre de son évaluation du jugement de première instance, la Cour d’appel détermine : (1) si Mme Meyer avait une obligation de transmettre un avis de dénonciation; (2) si l’avis transmis faisait état des vices de manière suffisante; et (3) si l’avis était transmis dans un délai raisonnable.

L’obligation de transmettre l’avis

La Cour d’appel revient d’abord sur la règle générale établie par l’article 1739 du Code civil du Québec selon laquelle un acheteur doit dénoncer un vice constaté au vendeur. La Cour d’appel clarifie certains commentaires de la Cour supérieure au niveau des exceptions à l’obligation de dénoncer et confirme qu’il en existe seulement trois :

  1. Lorsque les réparations sont urgentes;
  2. Lorsque le vendeur répudie toute responsabilité pour le vice; et
  3. Lorsque le vendeur a expressément ou implicitement renoncé à l’avis de dénonciation.

La Cour d’appel arrive à la conclusion qu’aucune de ces exceptions ne s’applique au présent cas. Certes, l’exception d’urgence peut se compliquer dans le cas de vendeurs successifs puisque le dernier vendeur ne contrôle pas l’exécution des travaux par l’acheteur. Toutefois, les Barabé-Tassé ont avisé Mme Meyer promptement et elle connaissait la problématique de condensation murale à partir du 11 février 2022. Puisque les travaux correctifs sont réalisés à partir du mois de mai (et rien n’indique qu’elle n’aurait pas pu demander une extension), il n’y avait pas d’urgence. La Cour rappelle par ailleurs que la dénonciation à Mme Meyer par les Barabé-Tassé ne valait pas pour les autres vendeurs dans la chaîne d’acquisition dû à l’absence de solidarité parfaite. Mme Meyer avait donc une obligation d’envoyer un avis de dénonciation.

L’insuffisance et la tardiveté de l’avis

La Cour d’appel considère par ailleurs que le juge de première instance a bien qualifié l’avis de dénonciation comme étant insuffisant et tardif.

Quant à l’insuffisance, l’avis transmis le 2 août 2022 fait seulement référence aux problèmes de pourriture, d’isolation et de fourmis charpentières. L’absence de mention de la problématique de condensation murale est fatale.

Sur la question de la tardiveté, la Cour d’appel a rejeté les arguments à l’effet que le « délai raisonnable » devrait être apprécié par la durée du temps écoulé. Même si le délai entre la connaissance de Mme Meyer et l’avis était inférieur à sept mois (et d’autres jugements ont considéré de tels délais comme étant raisonnables), la notion de la raisonnabilité est axée sur la possibilité pour la partie avisée d’examiner ou faire examiner l’état des lieux avant la réalisation des travaux. Or, rien dans la preuve n’indiquait que Mme Meyer n’aurait pas pu transmettre l’avis de dénonciation dès le mois de février 2022. Le rapport du dépisteur a par ailleurs confirmé que ce dernier a pu retracer la personne en question le jour même où il a reçu le mandat de le faire. L’avis n’a donc pas été transmis dans un délai raisonnable.

La sanction

Le rejet de l’action est une sanction qui est souvent atténuée par les tribunaux, notamment en situations où le bien est complètement détruit où lorsqu’un fabricant est réputé connaître le vice. Le rejet d’une action est cependant la sanction appropriée lorsqu’un vendeur subit un préjudice réel.

Référant à l’arrêt Cvesper c. Melatti de 2023, la Cour souligne que l’absence d’avis de dénonciation donne lieu à une présomption de préjudice. Le fardeau de prouver l’absence de préjudice repose donc sur Mme Meyer. À cet égard, Mme Meyer n’a pas pu convaincre la Cour que le rapport préparé par les experts des Barabé-Tassé pouvait permettre une évaluation adéquate des vices. Entre autres, le rapport ne contenait que seize (16) photos. Les constatations factuelles étaient donc très limitées, de sorte qu’un expert ne puisse pas adéquatement se prononcer sur l’existence et l’origine du vice ou soupeser l’hypothèse avancée par les experts des Barabé-Tassé.

Pour toutes ces raisons, la Cour rejette l’appel et confirme le jugement de première instance.

La morale de l’histoire

La Cour d’appel nous rappelle l’importance de l’avis de dénonciation en matière de vice caché. La transparence, la bonne communication et le souci de permettre à toute partie intéressée à visiter les lieux sont primordiaux:

  • Un acheteur qui découvre un vice caché devrait agir rapidement pour dénoncer la situation avec le plus de détail possible quant à la nature du vice et aux interventions planifiées, spécifiant des échéances claires. Si possible, l’avis devrait aussi rappeler le vendeur d’agir rapidement pour en aviser toute autre partie qu’il considère potentiellement responsable.
  • Lorsqu’un vendeur reçoit un avis dénonçant un vice caché, il faut être proactif et expédier des avis de dénonciation dans les plus brefs délais pour permettre à toute autre partie potentiellement responsable de constater l’état des lieux avant la réalisation de tout travail correctif. Il faut favoriser une communication accrue avec l’acheteur désirant réaliser les travaux quant au statut des démarches auprès de tiers désirant potentiellement constater l’état des lieux. La possibilité de demander une extension des délais devrait être soulevée si nécessaire et si la situation le permet.
  • Toutes les parties impliquées dans un litige pour vice caché devront tenter de documenter la situation le plus exhaustivement possible par le biais d’experts (particulièrement lorsque des enjeux de communication surviennent).
  • En situation où il est impossible de trouver ou notifier une partie potentiellement responsable pour un vice caché, puisque l’on pourrait avoir le fardeau de démontrer l’impossibilité de notifier avant la réalisation des travaux, les mesures prises pour dénoncer et/ou obtenir des extensions de délai devront être bien documentées.

L’application de ces bonnes pratiques pourra éviter la perte de droits et assurer que toute partie responsable pour un vice caché en assume sa part.

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Auteurs

James Woods

Avocat, associé

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