Droit des assurances

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Quand le remède devient le litige : la responsabilité médicale sous la loupe

Dans l’affaire N.L. c. Mathieu, 2025 QCCS 517, la Cour supérieure rejette l’action en responsabilité médicale intentée par une enseignante contre son ancien médecin de famille dans laquelle elle réclamait plus de 1,9 M$ en dommages.

La demanderesse reprochait à son médecin de lui avoir prescrit pendant plusieurs années des médicaments de façon inappropriée, sans suivi adéquat et sans l’avoir informée des risques de dépendance.

Le Tribunal conclut que le médecin n’a pas commis de faute civile, ses prescriptions étant conformes aux pratiques médicales de l’époque au Québec, et que les difficultés persistantes de la demanderesse ne pouvaient être attribuées de façon causale aux soins reçus.

Les faits

Au cours de son enfance et de sa vie de jeune adulte, la demanderesse a été confrontée à plusieurs épreuves et difficultés, lesquelles auraient ultimement menées à d’importants troubles de nature psychologique.

C’est dans ce contexte que la demanderesse consulte le défendeur pour la première fois en novembre 2006. Elle souffre alors d’anxiété, d’insomnie et de troubles physiques chroniques. À cette époque, elle avait déjà consulté d’autres médecins et reçu diverses prescriptions, incluant des antidépresseurs et des benzodiazépines. Suivant cette première rencontre, le défendeur émet un diagnostic de syndrome anxio-dépressif et trouble d’adaptation. Il prescrit un arrêt de travail ainsi qu’une nouvelle médication, laquelle sera adaptée au fur et à mesure que la situation de la demanderesse persistera.

Au fil des ans, la demanderesse déménage souvent et consulte d’autres médecins, lesquels continuent de lui prescrire des benzodiazépines ou des équivalents. Malgré les recommandations des médecins, la demanderesse demeure réticente à l’idée de suivre une psychothérapie et refuse à plusieurs reprises de prendre un antidépresseur de manière soutenue.

La demanderesse continue de consulter le défendeur lors de ses retours périodiques au Québec. Elle consulte le Dr Mathieu pour la dernière fois le 26 mars 2013.

En 2014, la demanderesse est hospitalisée en Alberta après une tentative de suicide. Les notes médicales révèlent alors divers stresseurs : isolement, instabilité professionnelle, conflits familiaux et relations affectives éprouvantes.

Dans les années qui suivent, plusieurs médecins et psychiatres constatent chez la demanderesse des traits de personnalité limite, une anxiété chronique et une difficulté à suivre les traitements proposés.

En 2017, la demanderesse intente un recours contre le Dr Mathieu, l’accusant d’avoir initié et entretenu une dépendance médicamenteuse sans l’informer adéquatement des risques et sans assurer un suivi de sevrage sécuritaire.

L’analyse

La Cour rappelle d’abord qu’en matière de responsabilité médicale, il incombe à la partie demanderesse de prouver selon la prépondérance des probabilités, l’existence d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre ceux-ci. Plus spécifiquement, afin de déterminer si le médecin défendeur a commis une faute, il y a lieu de tenir compte du principe selon lequel le médecin a une obligation de moyens envers ses patients. À ce titre, la Cour souligne que la faute disciplinaire, soit une contravention à une disposition du Code de déontologie des médecins, ne constituera pas nécessairement une faute civile au sens du régime de responsabilité civile de l’article 1457 C.c.Q. : il faut plutôt examiner l’accroc à la règle en cause pour déterminer si dans le contexte, la contravention donne lieu à une faute civile causale du préjudice allégué. Finalement, la conduite doit être évaluée selon les standards de la médecine familiale au Québec au moment des faits, et non à la lumière des connaissances actuelles.

En l’espèce, la Cour conclut à l’absence de faute du Dr Mathieu au niveau du traitement. Cette conclusion est, entre autres, appuyée par l’insuffisance de la preuve d’expert de la demanderesse. À ce titre, la Cour critique le choix des experts retenus par celle-ci, soulignant que la plupart d’entre eux sont des médecins étrangers qui n’ont jamais exercé au Québec, et rejette l’argument de la demanderesse à l’effet que la solidarité entre collègues explique le malaise des médecins du Québec à accepter un mandat d’expert de sa part et ne devrait pas la pénaliser :

[156] La situation que déplore Mme L… est certes regrettable mais son constat ne lui permet pas de se soustraire aux principes juridiques et règles de preuve applicables à tous. Son dossier ne saurait faire exception.

Quant à l’obligation d’information qui incombe aux médecins, elle s’évalue en fonction de ce qu’aurait fait un médecin de même spécialité, prudent et diligent, placé dans les mêmes circonstances, à la même époque. De plus, l’obligation de renseigner un patient quant aux risques d’un traitement est circonscrite à ceux qui sont normalement prévisibles et ne s’étend pas aux risques exceptionnels.

En l’espèce, la Cour note qu’à la lumière de l’ensemble de la preuve, il ne semble pas que Dr Mathieu ait spécifiquement et explicitement avisé la demanderesse des risques de dépendance relativement à l’usage des benzodiazépines ni des conséquences possibles de la cessation rapide de prise de ces médicaments.

Cela étant dit, il importe de garder en tête qu’il existe un caractère causal au vice d’information, et que celui-ci doit être analysé en se demandant si, en présence d’une telle information, le patient aurait consenti au traitement. Cette analyse doit se faire en étant conscient du risque que le témoignage du patient soit coloré par les malheurs qu’il a subis. En l’espèce, les conclusions de la Cour sont à l’effet que, même si un médecin prudent et diligent aurait, à l’époque pertinente, explicitement mentionné le risque de dépendance aux benzodiazépines et l’importance de ne pas cesser abruptement la médication, la faute de Dr Mathieu, soit l’omission d’information, ne serait pas causale des dommages allégués par la demanderesse.

De manière générale, la Cour rappelle ce qui suit quant à l’analyse du lien de causalité en matière de responsabilité médicale :

[214] La simple possibilité d’un lien causal et la simple perte de chance ne sont pas indemnisables en droit québécois. La partie demanderesse doit prouver que le préjudice est une conséquence directe, logique et immédiate de la faute.

[215] Il y a donc lieu de retenir comme génératrice de responsabilité civile, la cause véritable du préjudice par opposition aux simples circonstances ou occasions du dommage.

[216] En matière de responsabilité médicale, la preuve d’expertise est généralement requise afin d’analyser le lien de causalité entre la faute et le préjudice allégués.

En l’espèce, la Cour souligne que les problèmes persistants de la demanderesse découlent d’une combinaison de facteurs : antécédents familiaux lourds, traumatismes passés, symptômes préexistants, consommation de cannabis, refus de traitements recommandés et stresseurs professionnels et relationnels répétés. À ce titre, il est noté que les rapports des experts en demande sur l’existence d’un lien de causalité entre les symptômes rapportés par la demanderesse et la prise/cessation de benzodiazépines ne semblent pas tenir compte ces éléments, lesquels étaient parfois présents quelques années avant la première rencontre avec Dr Mathieu.

Ainsi, la Cour conclut que la demanderesse n’a pas réussi à démontrer selon la prépondérance des probabilités l’existence d’un lien de causalité entre les symptômes qu’elle allègue, lesquels dureraient encore aujourd’hui, plus de 10 ans après qu’elle ait cessé de prendre des benzodiazépines, et les prétendues fautes du Dr Mathieu.

À retenir

Cette décision illustre que la responsabilité médicale doit être appréciée selon les standards de la médecine familiale au Québec au moment des faits et la situation spécifique de chaque patient, et rappelle que la faute alléguée doit être causale des dommages subis.

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