Droit des assurances

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Il ne faut pas croire tout ce qu’on lit sur les réseaux sociaux…

Dans une décision récente, Boucal c. Rancourt-Maltais, la Cour supérieure revient sur les principes applicables en matière de diffamation.

Faits

La Défenderesse est membre d’un groupe Facebook privé nommé « Féministes Bas-St-Laurent ». Sur ce groupe, Mme Khadidiatou Yewwi aurait publié un témoignage concernant le Demandeur.

Se disant interpellée par ce témoignage, et ayant elle-même eu vent de certains comportements, faits ou gestes qui auraient été posés par le Demandeur envers d’autres femmes, la Défenderesse publie, sur sa propre page Facebook publique créée sous un pseudonyme, la photographie du Demandeur, ainsi qu’un texte, le décrivant comme un agresseur sexuel.

La preuve révèlera que le texte publié par la Défenderesse relate le témoignage d’une personne qu’elle ne connaît pas et dont elle ne peut attester de la véracité. La preuve révèlera également que la Défenderesse n’a jamais été la victime des comportements reprochés au Demandeur, qu’elle ne connaît pas personnellement.

Le Demandeur allègue avoir été forcé de déménager, avec sa famille, en raison de la publication de la Défenderesse sur les réseaux sociaux. Il allègue également avoir reçu un avis de probation de son employeur et avoir été dans l’obligation de suspendre temporairement son implication au sein d’un organisme qu’il a créé pour aider la cause des immigrants.

La Défenderesse nie avoir eu l’intention de nuire au Demandeur, ayant plutôt agi dans un but de protection et d’information. La Défenderesse allègue également que sa communication constitue une question d’intérêt public, compte tenu de la notoriété du Demandeur. Finalement, la Défenderesse allègue qu’il n’existe aucun lien de causalité entre les dommages allégués et le comportement de la Défenderesse, puisque le témoignage de Mme Yewwi était déjà accessible, et a été diffusé et vu par plusieurs personnes.

La Cour doit donc déterminer si le comportement de la Défenderesse est fautif. Au surplus, la Défenderesse ayant fait faillite, la Cour doit également déterminer si les dommages accordés sont une dette dont la Défenderesse serait libérée en raison de sa faillite.

La décision

La Cour revient sur les enseignements de la Cour suprême dans l’arrêt Prud’homme c. Prud’homme, 2002 CSC 85, où la Cour suprême rappelle qu’il revient au Demandeur de convaincre le juge que les propos litigieux sont diffamatoires. Pour ce faire, la Cour doit se demander si un citoyen ordinaire estimerait que les propos litigieux « pris dans leur ensemble, ont déconsidéré la réputation du demandeur », c’est-à-dire qu’ils lui ont fait perdre son estime ou sa considération ou qu’ils suscitent à son égard des sentiments défavorables ou désagréables.

Dans le cas en l’espèce, le Tribunal arrive à la conclusion que les propos publiés par la Défenderesse sont diffamatoires.

La Cour passe alors à la deuxième étape, c’est-à-dire déterminer si la responsabilité de la Défenderesse est engagée parce que se retrouvant dans l’une des trois situations pouvant engager sa responsabilité. Après une analyse de chacune des situations, la Cour détermine que la Défenderesse se trouve dans la troisième situation, à savoir la situation d’une personne médisante qui tient, sans justes motifs, des propos défavorables, mais véridiques, à l’égard d’un tiers. La Cour détermine que la Défenderesse a voulu exposer le Demandeur pour son bénéfice personnel et dans une intention malveillante.

Quant à l’évaluation des dommages, la Cour accorde une somme de 10 000$ au Demandeur à titre de dommages non pécuniaires, ainsi que la somme de 7 969,58$ pour la médication et le suivi psychologique entrepris par le Demandeur ainsi que les frais de déménagement. Finalement, la Cour accorde également une somme de 2 500$ à titre de compensation pour l’atteinte illicite et intentionnelle à la réputation du Demandeur, en vertu de l’article 49 de la Charte québécoise des droits et libertés.

Quant à l’impact de la faillite de la Défenderesse, la Cour rappelle que la libération des dettes d’un failli constitue la règle, et que la non-libération constitue l’exception. D’ailleurs, ces exceptions doivent être interprétées restrictivement, et les tribunaux n’ont aucun pouvoir discrétionnaire quant à leur application. En passant chacune des exceptions se retrouvant à l’article 178 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, la Cour conclut que les dommages moraux et punitifs accordés ne font pas partie des exceptions qui feraient en sorte que la Défenderesse ne serait pas libérée de ces dettes. Cependant, la Cour rappelle que les frais de justice constituent une dette à compter du jugement, de sorte qu’ils ne seraient pas visés par la faillite de la Défenderesse.

Morale de l’histoire

Bien qu’il soit possible de partager la publication sur les réseaux sociaux d’une autre personne facilement et rapidement, mieux vaut réfléchir à deux fois avant de partager publiquement le témoignage d’une personne qu’on ne connaît pas.

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