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Préavis d’exercice de droits hypothécaires et nomination d’un séquestre : la Cour d’appel du Québec met fin à un débat

Le 20 juillet 2020, la Cour d’appel a tranché sur une polémique qui existait depuis plusieurs années au Québec quant au respect des délais préfix du Code civil du Québec [CCQ] pour délaisser un bien, dans le cadre d’un recours entrepris par un créancier garanti aux termes de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité [LFI] (Séquestre de Media5 Corporation, 2020 QCCA 943). Il est maintenant clair qu’un créancier garanti voulant procéder à la nomination d’un séquestre national sous l’article 243 LFI pour l’exécution de ses sûretés devra d’abord s’assurer que les délais relatifs au préavis d’exercice prévus à l’article 2758 CCQ soient écoulés. Néanmoins, il sera possible de plaider l’urgence pour requérir la nomination d’un séquestre intérimaire en vertu des articles 46, 47 ou 47.1 LFI.

Depuis 2011, une divergence d’opinion existait entre les avocats pratiquant l’insolvabilité au Québec. Certains prétendaient que les délais relatifs aux préavis d’exercice des droits hypothécaires prévus au CCQ (soit 20 jours pour les biens meubles ou 60 jours pour les biens immeubles) devaient être respectés lorsqu’un créancier garanti désirait exécuter une sûreté via le mécanisme de nomination d’un séquestre nommé en vertu de la LFI. D’autre part, la grande majorité des praticiens de l’insolvabilité au Québec maintenait la position que le respect des délais préfix pour délaisser un bien n’était pas requis lorsque l’exécution de ladite sûreté était entreprise en vertu de la LFI. Cette polémique découlait entre autres d’une décision controversée rendue par l’honorable Gaétan Dumas en 2011 (Média5 Corporation inc. (Séquestre de), 2011 QCCS 6874), laquelle affirmait que les délais préfix pour délaisser le bien devaient être respectés avant que le créancier ne puisse procéder à la nomination d’un séquestre sous la LFI. La Cour d’appel vient de trancher la question en déterminant que la position minoritaire doit désormais prévaloir au Québec.

En effet, cette récente décision suit l’arrêt majoritaire rendu en 2015 dans l’affaire Lemare Lake (Saskatchewan (Procureur général) c. Lemare Lake Logging Ltd., 2015 CSC 53), par lequel la Cour suprême du Canada [CSC] avait tranché en affirmant qu’il n’y avait pas d’empêchement à juxtaposer les délais requis par la LFI (soit un délai de 10 jours selon l’art. 244 LFI) et ceux prévus par une loi provinciale. D’ailleurs, la CSC avait précisé que l’objectif recherché de souplesse et d’efficacité de l’article 243 LFI n’était pas suffisant pour court-circuiter les délais prévus par une loi provinciale. En l’absence d’un conflit d’application et d’une incompatibilité d’objet (i.e. lorsque la loi provinciale entrave la réalisation de l’objet de la loi fédérale), la CSC a favorisé une interprétation harmonieuse des lois fédérales et provinciales. La CSC rappelait du même coup que la doctrine de la prépondérance du droit fédéral dans le domaine de l’insolvabilité devait recevoir une interprétation restrictive. Le dossier ayant pris naissance en Saskatchewan, certains avançait que cette autorité n’était pas applicable au Québec. La Cour d’appel a récemment déterminé qu’au contraire, les principes édictés par la CSC dans l’affaire Lemare Lake devaient également être suivis au Québec, mettant ainsi fin au débat.

D’importance pour la pratique, la Cour d’appel rappelle de façon claire les critères nécessaires à la nomination d’un séquestre sous l’article 243 LFI.

RSS représentait les débitrices Media5 Corporation et Acquisitions Essagal inc. dans le cadre du dossier en appel mentionné ci-haut.

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Auteurs

Annie Claude Beauchemin

Avocate, associée

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