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La Cour suprême du Canada valide la criminalisation de la discrimination génétique

Le 10 juillet dernier, dans un jugement étoffé de 275 paragraphes et rendu à cinq juges contre quatre (Renvoi relatif à la Loi sur la non-discrimination génétique, 2020 CSC 17), la Cour suprême du Canada a confirmé la validité constitutionnelle des articles 1 à 7 de la Loi sur la non-discrimination génétique [Loi].

Ce faisant, nul ne pourra obliger une personne à subir un test génétique ou à communiquer les résultats d’un tel test comme condition préalable à l’exercice de l’une ou l’autre des activités suivantes :

  1. fournir des biens ou des services;
  2. conclure ou maintenir un contrat ou une entente;
  3. offrir ou maintenir des modalités particulières dans le cadre d’un contrat ou d’une entente.

De plus, nul ne peut refuser d’exercer les activités précitées à l’égard d’une personne au motif qu’elle a refusé de subir un test génétique ou de communiquer les résultats d’un tel test.

La Loi prévoit des peines sévères aux contrevenants, soit des amendes par mise en accusation ou par procédure sommaire pouvant aller jusqu’à 1 000 000 $ et des peines d’emprisonnement maximales de cinq ans.

Il est toutefois essentiel de noter que la Loi n’édicte pas une prohibition totale de l’utilisation des données génétiques d’un individu. Elle prévoit certaines exceptions, notamment pour les professionnels de la santé et les chercheurs scientifiques.

Autre exception d’importance capitale, la Loi n’empêche pas la personne visée de se soumettre volontairement à des tests génétiques ou à transmettre volontairement les résultats de tels tests à des tiers.

Le gouvernement du Québec avait soumis à la Cour d’appel du Québec la question de la validité constitutionnelle de cette Loi adoptée par le Parlement fédéral en 2017, jugeant que ses articles 1 à 7 outrepassaient la compétence du Parlement en matière criminelle. Notamment, le gouvernement du Québec était d’avis que ces dispositions visaient non pas une règlementation en droit criminel, mais plutôt une règlementation des contrats et de la fourniture de biens et services, ce qui relève de la compétence provinciale.

Paradoxalement, le gouvernement fédéral appuyait la position du gouvernement du Québec considérant cette Loi inconstitutionnelle. Plusieurs organismes sont intervenus pour demander à la Cour d’appel de maintenir les articles 1 à 7 de la Loi, y compris la Coalition canadienne pour l’équité génétique.

La Cour d’appel a conclu à l’unanimité que ces dispositions de la Loi échappaient à la compétence du Parlement fédéral en matière de droit criminel et étaient donc inconstitutionnelles.

La Cour suprême a infirmé la décision rendue par la Cour d’appel.

La majorité de la Cour suprême a conclu que le caractère essentiel des articles 1 à 7 de la Loi était d’enrayer la discrimination génétique et la crainte pour une personne de subir une telle discrimination fondée sur les résultats d’un test génétique. Par le fait même, ces dispositions relèvent du droit criminel, car elles protègent des intérêts publics, et plus particulièrement l’autonomie, la vie privée, l’égalité et la santé publique.

La règlementation des contrats et la fourniture de biens et services prévue par cette Loi n’est qu’accessoire à son caractère véritable de protéger l’autonomie, la vie privée, l’égalité et la santé publique par l’imposition d’interdictions et de pénalités relevant du droit criminel. Les dispositions 1 à 7 de cette Loi sont donc valides relevant bel et bien de la compétence du Parlement fédéral.

Notamment, le juge Moldaver et la juge Côté énoncent dans les motifs concordants que ces dispositions éliminent le dilemme « auquel des gens devaient faire face et qui créait une menace pour la santé » (Par 144 du jugement), c’est-à-dire « le fait de devoir choisir entre conclure des ententes ou subir un test génétique. » (Ibid.)

Cette Loi aura certainement une incidence sur les lois provinciales notamment en matière contractuelle, y compris le droit des assurances. En effet, la Cour suprême rappelle la préséance de cette Loi sur les lois provinciales en cas de conflit d’application.

La Cour suprême donne d’ailleurs l’exemple suivant en droit des assurances : « les lois provinciales qui obligent une personne qui souhaite souscrire à une assurance maladie ou une assurance vie à communiquer tous les renseignements importants en matière de santé ne pourraient s’appliquer de manière à exiger de celle-ci qu’elle communique les résultats génétiques » (Par 53 du jugement)  et ce, même s’il s’agit de renseignements de « nature à influencer de façon importante un assureur dans l’établissement de la prime, l’appréciation du risque ou la décision de l’accepter. » (Art 2408 du Code civil du Québec)

La Cour suprême ajoute même que cette Loi pourrait avoir une incidence sur les primes d’assurance. En effet, certains assureurs pourraient choisir d’augmenter les primes pour tous leurs assurés considérant les interdictions de pouvoir soumettre un assuré à des tests génétiques, le forcer à soumettre les résultats d’un tel test, ou modifier ou annuler un contrat d’assurance en raison de son refus de se soumettre à un test génétique ou de transmettre les résultats d’un tel test.

Tout en reconnaissant que les assureurs et les employeurs seront lourdement touchés par les interdictions imposées par la Loi, la Cour suprême précise que les effets juridiques et pratiques de ces interdictions doivent l’emporter afin de notamment permettre « aux personnes d’exercer un contrôle sur leurs résultats de test génétique et de se protéger contre la discrimination génétique. » (Par 60 du jugement)

Le Parlement fédéral a modifié le Code canadien du travail et la Loi canadienne sur les droits de la personne pour intégrer d’autres dispositions visant à interdire la discrimination génétique. Il sera intéressant de voir quelle sera l’évolution du droit provincial en cette matière. Les provinces suivront-elles l’exemple du fédéral en créant ou modifiant des lois pour interdire la discrimination génétique ou reposeront-elles entièrement sur les mesures de droit criminel incluses dans la Loi?

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Auteurs

Ariane Légère-Bordeleau

Avocate, associée

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