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L’affaissement était-il naturel?

Dans la décision récente, Weber c. Société d’assurance Beneva inc., 2024 QCCS 622, la Cour supérieure rappelle les principes applicables lors d’un litige sur l’application d’une police d’assurance, et de ses exclusions.

Brian Weber et Fiona Buell poursuivent leur assureur, Société d’assurance Beneva inc. (« Beneva »), afin qu’elle les indemnise pour les dommages subis à leur résidence. Ils poursuivent également l’entrepreneur Construction Morival Ltée (« Morival »), prétextant qu’il est responsable des dommages subis à la résidence des demandeurs, en raison des travaux exécutés par cette dernière.

Beneva dépose également un appel en garantie contre Morival, afin que cette dernière tienne Beneva indemne de toute condamnation pouvait être prononcée contre elle, prétextant que si des dommages ont effectivement été causés à l’immeuble des demandeurs et qu’ils sont couverts par la police d’assurance, Morival doit être tenue responsable, puisqu’elle aurait nécessairement dépassé les seuils de vibrations.

Les faits

En septembre 2000, les demandeurs font l’acquisition d’une maison en rangée, située dans la ville de Westmount (« la Ville »).

17 ans plus tard, Morival, est mandaté par la Ville pour effectuer des travaux d’urgence et d’entretien de son réseau d’égout et d’aqueduc.

Tôt le matin du 5 septembre 2017, Morival débute des travaux pour remplacer une conduite d’alimentation en eau située sur le terrain voisin de la propriété des demandeurs. À cette date, la demanderesse Fional Buell travaille de la maison. Pendant près de deux (2) heures, elle entend et ressent des vibrations, qui sont générées par les travaux de Morival, et plus particulièrement par l’équipement qu’elle utilise pour procéder à ses travaux. Puis, vers 9 h, la demanderesse Buell constate l’apparition de plusieurs fissures dans les murs et les plafonds de sa résidence.

Deux (2) jours plus tard, le demandeur Brian Weber constate une importante fissure dans la dalle de béton du sous-sol, qui s’étend sur toute la longueur de la résidence, et qui monte dans le mur de fondation. Il constate également de nouvelles fissures dans le revêtement de brique de la façade de la résidence.

Les demandeurs informent leur assureur, Beneva, des dommages subis. Dans le cadre de son enquête, Beneva mandate un ingénieur pour déterminer si les travaux de Morival étaient la cause des dommages subis par les demandeurs. Nous apprendrons plus tard que cet ingénieur conclut que les dommages subis sont dus à un affaissement des fondations du mur mitoyen entre la résidence des demandeurs et leur voisin. Selon lui, comme la dalle du sous-sol a été refaite en 2012, le mouvement du sol serait survenu entre 2012 et 2017. Toutefois, l’ingénieur mentionne qu’une étude géotechnique serait nécessaire pour confirmer l’hypothèse de l’affaissement du mur mitoyen.

En parallèle, les demandeurs transmettent une mise en demeure à Morival. Cette dernière ne donnera jamais suite à cette lettre.

Au cours de l’hiver 2018, les demandeurs constatent que l’air froid s’infiltre par les fissures découvertes à l’automne 2017. Par ailleurs, à la fin janvier 2018, Beneva informe ses assurés que l’enquête est toujours en cours, et qu’à ce stade, il n’est pas possible d’établir un lien entre les travaux de Morival et les dommages subis.

Les demandeurs font appel à un ingénieur afin de déterminer s’il y a un lien de causalité entre les dommages subis et les travaux de Morival. Celui-ci conclut que les dommages causés à la résidence des demandeurs résultent en toute probabilité des travaux de Morival.

À la fin mars 2019, Beneva avise les demandeurs que son enquête est complétée, et qu’il ne sera pas donné suite leur réclamation.

Les prétentions

Les demandeurs prétendent que l’affaissement du mur mitoyen a été causé par les travaux de Morival, et ils estiment avoir droit d’être indemnisés par leur assureur.

Beneva reconnaît que les dommages subis résultent d’un affaissement du sol. Toutefois, Beneva prétend que les dommages résultent d’un affaissement naturel du sol, de sorte que les dommages seraient exclus de la couverture d’assurance, en raison de l’exclusion « mouvements naturels du sol » qui se retrouve dans la police d’assurance

Quant à Morival, celle-ci prétend qu’elle n’a commis aucune faute dans l’exécution de ses travaux.

La décision

La Cour se penche tout d’abord sur la question de l’exclusion alléguée par Beneva. Elle rappelle les règles applicables lors d’un litige sur l’application d’une police d’assurance. Tout d’abord, l’assuré doit démontrer, a priori, soit droit à l’indemnisation. Par la suite, il revient à l’assureur de démontrer, par prépondérance de preuve, qu’une exclusion s’applique. Par ailleurs, la Cour rappelle également que les exclusions doivent être interprétées de façon restrictive.

En l’espèce, la Cour détermine que les demandeurs ont fait la preuve, a priori, qu’ils ont droit à une indemnité, puisque le sinistre pour lequel ils ont présenté une réclamation à l’assureur est survenu pendant la période de couverture. Quant au fardeau reposant sur les épaules de l’assureur relativement à l’application de l’exclusion, la Cour conclut que Beneva n’a pas été en mesure de démontrer que l’exclusion alléguée s’appliquait.

La Cour souligne que la preuve administrée contredit l’expert de Beneva. Selon la Cour, c’est bien le 5 septembre 2017 que tous les dommages sont soudainement apparus. De plus, l’expert de Beneva a reconnu, lors du procès, et après avoir entendu les différents témoignages, qu’il était probable que l’affaissement du mur mitoyen ait été causé par les vibrations générées par les travaux de Morival.

Conséquemment, la Cour conclut que Beneva n’a pas été en mesure de démontrer que l’affaissement du mur mitoyen est survenu de façon naturelle. Dans ces circonstances, il est clair que l’exclusion « mouvements naturels de sol » ne s’applique pas.

Quant à la responsabilité de Morival, la Cour souligne que sa responsabilité extracontractuelle n’est engagée que s’il est démontré qu’elle a omis de respecter les règles de l’art, l’usage et la loi.

Or, en l’espèce, la preuve administrée lors de l’instruction n’a pas permis de retenir la responsabilité de Morival. En effet, selon la Cour, Morival ne pouvait raisonnablement prévoir que ses équipements et les méthodes de travail utilisées étaient susceptibles de causer un affaissement du mur mitoyen.

Ainsi, la réclamation des demandeurs fut partiellement accueillie, mais uniquement à l’encontre de Beneva.

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