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Le lac déborde, mais la perte est exclue

On se rappellera les événements catastrophiques de la soirée du 27 avril 2019 alors qu’une digue a cédé à Ste-Marthe-sur le Lac inondant tout un quartier et causant des dommages considérables. Mais cette perte était-elle exclue par la police émise par La Personnelle? C’est la question à laquelle la Cour supérieure a dû répondre dans l’affaire Rogerson c. La Personnelle, assurances générales inc. 2023 QCCS 1192 rendue le 19 avril 2023.

Cette affaire représente un bon rappel des principes applicables dans l’analyse de la couverture d’assurance et l’interprétation du libellé de la police.

En premier lieu, la Cour souligne que l’assuré a le fardeau d’établir que la perte est couverte par le libellé de la police ainsi que les dommages qui en découlent. Il incombe à l’assureur de prouver que le sinistre est exclu. La Cour a résumé les principes directeurs comme suit :

  1. lorsque le libellé de la police d’assurance est sans ambiguïté, la Cour doit donner effet au libellé clair, en lisant le contrat dans son ensemble ;
  2. si les termes de la police d’assurance sont ambigus, la Cour doit s’appuyer sur les règles générales d’interprétation des contrats ; la Cour doit éviter les interprétations qui donneraient lieu à des résultats irréalistes ou qui n’auraient pas été envisagées par les parties au moment de la conclusion de la police ;
  3. si les règles d’interprétation ne permettent pas de résoudre l’ambiguïté, la police doit être interprétée contre l’assureur ;
  4. les dispositions relatives à la couverture doivent être interprétées de manière large, tandis que les exclusions doivent être interprétées de manière étroite.

En l’espèce, les Demandeurs, résidents du quartier inondé, étaient couverts par une police d’assurance habitation sous réserve des exclusions relatives aux inondations et à l’eau qui se lisent comme suit :

(8) Inondation

Nous n’assurons pas les pertes ou les dommages causés directement ou indirectement par une inondation.

Les inondations comprennent les vagues, les marées, les raz-de-marée, les tsunamis, les seiches, les ruptures de barrage et la montée ou le débordement de tout cours d’eau ou plan d’eau, qu’il soit naturel ou créé par l’homme.

Cette exclusion s’applique qu’il y ait ou non d’autres causes ou événements (couverts ou non) qui contribuent concurremment ou successivement à la survenance de la perte ou du dommage

Toutefois, nous assurons les pertes ou les dommages causés directement aux biens assurés par un incendie ou une explosion résultant d’une inondation.

(30) Dégâts des eaux

Nous ne garantissons pas

(a) Les pertes ou dommages causés par l’eau provenant d’une fuite, d’un débordement ou d’un refoulement continu ou répété, que vous ayez ou non eu connaissance de cette fuite, de ce débordement ou de ce refoulement.

(b) Les pertes ou dommages causés par l’eau provenant d’une fuite, d’un débordement ou d’un refoulement :

[…]

-des raccordements d’égouts ;

-des égouts

-des réservoirs septiques, des champs d’épuration ou d’autres systèmes de traitement des eaux usées ;

[…]

(d) Les pertes ou dommages causés par les eaux souterraines ou de surface, y compris si elles pénètrent ou s’infiltrent dans le bâtiment. (notre traduction)

La police contenait toutefois un avenant prévoyant une couverture supplémentaire pour les « risques assurés », qui faisait également l’objet d’une exclusion :

Risques assurés

Nous assurons les pertes ou dommages soudains et accidentels aux biens assurés causés directement par :

  • L’eau provenant d’une fuite, d’un débordement ou d’un refoulement :
    • des raccordements d’égouts;
    • égouts;
    • fosses septiques, champs d’épuration ou autres systèmes de traitement des eaux usées;
    • des puisards, des réservoirs de rétention ou des bassins de retenue;
    • des tuyaux de drainage du sous-sol (drains français);
    • les fossés.

Exclusions

Les exclusions suivantes sont ajoutées à la police d’assurance, mais uniquement aux fins du présent avenant :

  • Les dommages causés directement ou indirectement par un risque assuré par l’avenant et qui surviennent lorsqu’une inondation atteint la surface du sol sur les lieux. Cette exclusion s’applique que le sinistre survienne avant, pendant ou après l’arrivée de cette inondation sur les lieux.

Aux fins du présent avenant, on entend par inondation les vagues, les marées, les raz-de-marée, les tsunamis, les seiches, les ruptures de barrage et la montée ou le débordement de tout cours d’eau ou plan d’eau, qu’il soit naturel ou créé par l’homme.

Cette exclusion s’applique qu’il y ait ou non une autre cause ou un autre événement (couvert ou non) qui contribue actuellement ou dans n’importe quel ordre à la survenance de la perte ou du dommage. (notre traduction)

Les demandeurs ont fait valoir que l’exclusion relative aux inondations était ambiguë et devait être interprétée en leur faveur, et qu’elle ne s’appliquait pas puisque les dommages au sous-sol n’avaient été causés que par le refoulement des égouts. Le juge Charrette a conclu que la couverture et l’exclusion de l’avenant n’étaient pas ambiguës puisque les dommages causés directement ou indirectement par une inondation ne sont pas couverts. Il a noté qu’une perte ou un dommage résultant d’un refoulement d’égout est couvert. Toutefois, il est exclu lorsque

  • le sinistre, causé directement ou indirectement par un refoulement d’égout, survient lorsqu’une inondation atteint la surface du sol sur les lieux ; et
  • que le sinistre survienne avant, pendant ou après l’arrivée de l’inondation sur les lieux.

Le tribunal a conclu que cette exclusion s’applique, qu’une autre cause ou un autre événement ait ou non contribué concurremment ou successivement à la survenance de la perte ou du dommage. La Cour ajouta que les dommages causés par un refoulement d’égout résultant directement ou indirectement d’une inondation sont exclus, ajoutant que le libellé exigeait également que l’eau de l’inondation atteigne les locaux assurés comme elle l’a fait.

Ce jugement affirme que cette interprétation est cohérente avec le fait que les dommages causés par une inondation ne sont pas couverts alors que l’avenant ajoute une couverture pour les dommages causés par l’eau. L’avenant ajoute une couverture pour les dégâts d’eau, mais non pour les pertes ou dommages résultant d’une inondation. « L’objectif est de s’assurer que les dommages résultant d’une inondation sont exclus même si une autre cause intervient simultanément ». La Cour a noté que l’inondation était le premier élément de la chaîne de causalité des dommages. De plus, les faits établissent que l’inondation telle que définie par l’avenant a atteint la résidence de l’assuré conformément à la définition contenue dans la police. La Cour a conclu que l’assureur avait prouvé les faits nécessaires pour lui permettre d’invoquer l’exclusion de l’inondation contenue à l’avenant. La réclamation n’était donc pas couverte.

Rappelons que nous avons une équipe dédiée en responsabilité municipale et dont les associés responsables sont Mes Hugues Duguay et Justin Beeby.

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Auteurs

Mariella De Stefano

Avocate, associée et co-gestionnaire du groupe de Droit des assurances

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