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Les comptables peuvent-ils dénoncer leurs clients ? La Cour supérieure donne quelques lumières

Le 18 octobre 2021, la Cour supérieure du Québec a rendu une décision importante dans l’affaire Ordre des comptables professionnels agréés du Québec c. Procureur général du Québec, 2021 QCCS 4327, concernant les limites de l’obligation du secret professionnel applicable aux comptables professionnels agréés [CPA]. Essentiellement, la Cour déclare que l’article 17.0.1 de la Loi sur l’encadrement du secteur financier [Loi] est inapplicable aux CPA du Québec pour les raisons qui suivent.

Procédure

L’ordre professionnel des CPA [Ordre] a demandé à la Cour supérieure d’annuler l’article 17.0.1 de la Loi, qui protégerait ultimement contre les représailles un CPA qui dénoncerait à l’Autorité des marchés financiers des violations à certaines dispositions légales.

L’Ordre estime toutefois que le libellé de la dérogation prévue dans l’article n’est pas suffisamment explicite pour autoriser les CPA à déroger au droit au secret professionnel prévu à l’article 9 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne [Charte québécoise]. L’Ordre soutient que pour autoriser une telle dérogation, le législateur doit procéder expressément en conformité avec l’article 9 de la Charte québécoise. L’Ordre prétend également que cette disposition constitue une soi-disant invitation à la violation de l’article 5 de la Charte québécoise, soit le droit à la vie privée. De plus, considérant que la dénonciation d’une violation par un CPA pourrait éventuellement mener à l’emprisonnement de son client, l’Ordre déclare que cela va à l’encontre de l’article 7 de la Charte canadiennes des droits et libertés [Charte canadienne], qui protège le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité.

Dans l’ensemble, l’Ordre allègue que le gouvernement du Québec n’a pas passé le test de l’atteinte minimale au sens des articles 1 de la Charte canadienne et 9.1 de la Charte québécoise.

Raisonnement

La Cour aborde chacun des arguments de l’Ordre pour conclure à l’inapplicabilité de la disposition à l’égard des CPA :

  1. L’article 17.0.1 de la Loi contient-il une disposition expresse permettant d’écarter le secret professionnel de son application ? La Cour conclut que la disposition est explicite, car elle mentionne spécifiquement la non-applicabilité de la levée du secret professionnel pour les avocats et les notaires ;
  2. L’article 17.0.1 de la Loi porte-t-il atteinte à l’obligation de respect de la vie privée prévue à l’article 5 de la Charte québécoise ? La Cour répond par l’affirmative à cette question. La divulgation d’informations confidentielles par son comptable à l’autorité publique n’est pas ce à quoi s’attend un client, puisqu’il se fie au secret professionnel de son CPA ;
  3. L’article 17.0.1 de la Loi contrevient-t-il à l’article 7 de la Charte canadienne ? Non. Premièrement, la disposition n’est pas imprécise comme le soutenait l’Ordre. Deuxièmement, la Cour ne croit pas que cet article porte atteinte à la liberté de la personne, puisque les informations confidentielles obtenues par un CPA dans le cadre de son mandat ne sont pas suffisantes pour les placer au même niveau que celles d’un client avec son avocat. Selon le juge, il n’y a pas de justification pour élever le secret professionnel du comptable au rang de principe de justice fondamentale ;
  4. L’article 17.0.1 de la Loi constitue-t-il une atteinte minimale selon l’article 9.1 de la Charte québécoise ? La Cour conclut que la divulgation par un CPA de renseignements confidentiels devrait être mieux encadrée pour rencontrer le critère de l’atteinte minimale au sens de cet article. En effet, la loi devrait prévoir des étapes intermédiaires permettant aux autorités supérieures d’une entreprise clients d’être informées du problème, avant qu’il n’y ait dénonciation.

Points à retenir

Bien que la clause soit claire et que le secret professionnel du comptable ne soit pas aussi important que celui de l’avocat, l’article 17.0.1 de la Loi ne constitue pas une atteinte minimale aux droits protégés par les Chartes, puisque les informations confidentielles appartiennent au client et non au comptable. Dès lors, la Loi devrait prévoir des mesures intermédiaires permettant aux dirigeants d’une entreprise cliente d’être informés d’un problème afin de faire valoir leurs oppositions à la divulgation, le cas échéant.

En ce sens, l’article 17.0.1 de la Loi ne constitue pas une atteinte minimale justifiée par l’article 9.1 de la Charte québécoise. La Cour déclare donc que les CPA ne peuvent invoquer la protection de l’article 17.0.1 de la Loi.

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