Le projet de loi 96, Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français, propose un certain nombre de modifications substantielles à la procédure civile en vigueur au Québec. Ce projet est présentement sous discussion à l’Assemblée nationale et il est donc possible que des changements y soient apportés avant l’adoption du texte final. En attendant, voici les grandes lignes de ce que ce projet de loi propose et qui pourraient affecter vos procédures civiles dans vos litiges.
Après adoption de la loi par l’Assemblée nationale, il sera dorénavant prévu que tout acte de procédure émanant d’une personne morale (société par actions ou de personnes, autre qu’une personne physique) et rédigé en anglais (ou dans toute langue autre que le français) devra obligatoirement être accompagné aux frais de cette partie d’une « traduction en français certifiée » [art 5, amendant l’art 9 de la Charte de la langue française].
Le projet ne précise pas ce qu’il faille entendre par une « traduction certifiée » mais il est possible de présumer que cette traduction devra être faite et scellée par un traducteur agrée membre de l’Ordre des traducteurs, terminologues et interprètes agréés du Québec. Il est donc probable qu’une traduction certifiée par un avocat ou une personne qui n’est pas membre de cet Ordre ne serait pas acceptée.
La sanction pour le non-respect de cette exigence est à l’effet que tout acte de procédure rédigé en anglais et non accompagné de cette traduction française certifiée ne pourra être déposé au greffe d’un tribunal ou secrétariat d’un organisme juridictionnel [art 116, ajoutant l’art 208.6 de la Charte].
Le projet de loi précise également qu’une version française doit être jointe « immédiatement et sans délai » à tout jugement rendu par écrit en anglais par un tribunal judiciaire ou une juridiction administrative « lorsqu’il met fin à une instance ou présente un intérêt pour le public ». Cette traduction sera toutefois à la charge des autorités et non des parties [art 5, ajoutant l’art 10 de la Charte].
Les parties à un contrat pourraient envisager de soumettre leurs différends à l’arbitrage, qui répond à des procédures différentes. Ainsi, elles pourraient vraisemblablement stipuler que les actes de procédure de l’arbitrage puissent être rédigés uniquement en anglais, sans nécessiter de traduction certifiée en français mais il y a lieu d’énoncer certaines réserves.
Premièrement, dès qu’une partie à l’arbitrage cherchera à demander au tribunal l’homologation de la sentence arbitrale, les règles de la procédure judiciaire décrites ci-dessus s’appliqueront. Par conséquent, la demande d’homologation et la sentence arbitrale si elles sont rédigées uniquement en anglais, devront être accompagnées d’une traduction française certifiée.
Deuxièmement des conditions additionnelles s’appliquent lorsqu’il s’agit d’un contrat d’adhésion ou d’un contrat où figurent des clauses-type imprimées ajoutant que le contractant doit d’abord prendre connaissance de la version française du contrat et exprimer ensuite sa « volonté expresse » d’accepter la version anglaise [art 44, amendant l’art 55 de la Charte; art 151, amendant l’art 26 de la Loi sur la protection du consommateur].
D’ailleurs, la Cour d’appel du Québec vient de rendre une importante décision validant l’usage par les assureurs de clauses de « médiation-arbitrage » pour gérer efficacement les litiges en matière d’assurance commerciale (9369-1426 Québec inc. (Restaurant Bâton Rouge) c. Allianz Global Risks US Insurance Company, 2021 QCCA 1594) et qui fait l’objet d’une infolettre distincte par notre collègue Nick Krnjevic.
Si ce projet de loi est adopté dans sa version actuelle, il faudra prévoir des coûts additionnels pour la traduction « certifiée ». Ces coûts peuvent représenter des montants substantiels si les procédures sont longues et complexes ou encore dans le cas de mémoires d’appel par exemple.
Nous publierons un suivi lorsque le texte définitif aura force de loi.
Nos sincères remerciements à notre collègue Claude-Armand Sheppard, Ad. E., dont l’analyse détaillée de ce projet de loi a servi de base à la présente infolettre.
