Le 6 avril, la Cour d’appel du Québec rendait sa décision dans SNC-Lavalin inc. (Terratech inc. et SNC-Lavalin Environnement inc.) c. Deguise, 2020 QCCA 495.
Compte tenu de l’importance de cette décision tant pour l’industrie de la construction que pour celle de l’assurance, RSS a entrepris de brosser un portrait des règles qui y sont illustrées. Le présent texte constitue un des volets du tableau complet que l’on trouvera ici. |
L’arrêt Deguise et ses conclusions liées aux problèmes découlant de la présence de pyrrhotite dans les fondations de plusieurs immeubles de la région de Trois-Rivières marqueront un jalon important dans la justice québécoise. Mais cet arrêt confirme aussi certains principes importants en matière d’interprétation des différentes clauses de polices d’assurance responsabilité en lien avec la garantie offerte pour des périodes d’assurance données.
En marge de la condamnation de SNC-Lavalin [« SNC »] et de son employé géologue, des questions d’application des polices d’assurances couvrant leur responsabilité civile se posent, notamment quant à une possible limitation de leur application à une seule période d’indemnisation, limitant ainsi les sommes devant être payées par les assureurs.
Avant d’aborder ces questions d’interprétation, une remise en contexte s’impose. SNC est couverte par une police d’assurance protégeant sa responsabilité et celle découlant des gestes posés par ses employés. Cette police d’assurance est en fait composée de plusieurs polices d’assurance émises par un groupe de quatre assureurs dont la participation est en pourcentages différents. D’une année à l’autre, les assureurs assument en rotation un rang différent et chaque rang correspond à une contribution donnée. C’est ce qui s’appelle une tour d’assurance. Quand survient une réclamation, l’assureur au haut de la tour couvre la réclamation jusqu’à ce que sa garantie soit épuisée. L’assureur au second rang prend alors la relève, et ainsi de suite. Les différentes polices d’assurance composant la tour d’assurance sont à toutes fins pratiques identiques.
La première tour a été mise en place en 2004 et est renouvelée depuis. Les polices d’assurance sont déclenchées suivant la dénonciation par SNC d’une réclamation. Les assurés devaient aussi déclarer, dans le processus de renouvellement, toute situation qui pourrait éventuellement mener à une réclamation, de manière que les assureurs puissent évaluer le risque à couvrir.
Les clauses en cause sont les suivantes :
[Police de AIG]
4.1 Claim Means: [art. 4.1.1 ou 4.2.1 selon la police] A written or oral demand from a third party requesting compensation for damages arising out of, or an allegation by a third party of, an error, omission or negligent act by the lnsured in the conduct of their Professional Duties. [Police de Lloyd’s] :2e alinéa de la clause 4.1 ou 4.2 selon la police] Claims arising from a single error, omission, or negligent, dishonest, fraudulent criminal or malicious act, or breach, or loss or destruction or damage shall be considered a single Claim regardless of the number of lnsureds or the number of third parties making a Claim. […] [Exclusion – polices de AIG et Lloyd’s]This policy does not cover any liability or Claim whatsoever arising out of: […]6.5 Any circumstance or occurrence: 6.5.1 Which has been notified to lnsurers on any other policy of insurance effected prior to the inception of this Policy; 6.5.2 Known to the lnsured prior to the inception of this Policy. […] [Polices de AIG et Lloyd’s]7. CLAIMS CONDITIONS Insured’s Duties in the Event of Claim 7.1 lt is a condition precedent to lnsurers’ liability under this Policy that: 7.1.1 Upon receipt by or on behalf of the lnsured of notice whether written or oral of intention by any person or body to make a Claim against the lnsured or of any allegation of any error, omission or negligent act which might give rise to such a Claim or on the discovery of any such error, omission or negligent act the lnsured shall notify the Claim Officer for transmission to lnsurers of such receipt, allegation or discovery in accordance with the Claim Procedures below. 7.1.2 If during the subsistence hereof the lnsured shall become aware of any occurrence which may subsequently give rise to a Claim against them by reason of any error, omission or negligent act and shall during the subsistence hereof give written notice to the Claim Officer, for transmission to lnsurers of such occurrence, any Claim which may subsequently be made against the lnsured arising out of that error, omission or negligent act shall be deemed to have been made during the subsistence hereof. |
Dans le présent cas, les premières réclamations liées à la pyrrhotite ont été dénoncées aux assureurs durant la période de couverture 2009–2010. Au cours des mois suivants, SNC les a avisés des réclamations additionnelles à mesure qu’elles lui étaient communiquées, mais aussi du nombre potentiel de ces réclamations.
Se fondant sur les clauses ci-haut mentionnées, les assureurs ont invoqué que seule la police d’assurance pour la période de 2009–2010 était applicable à l’ensemble des réclamations, même celles déclarées postérieurement et donc sous l’application d’autres polices d’assurance. Ces prétentions reposent sur différentes prémisses :
- Le géologue à l’emploi de SNC a commis un seul acte négligent;
- Cet acte est à l’origine des sinistres ayant donné lieu aux réclamations;
- Les polices d’assurance permettent le regroupement des réclamations liées à cet acte;
- Même si certaines de ces réclamations sont déclarées plus tard, les réclamations ainsi regroupées sont toutes couvertes uniquement par la police en vigueur au moment de la déclaration initiale, soit durant la période de couverture 2009–2010.
Comme le juge de première instance, la Cour d’appel rejette cette interprétation du syllogisme à appliquer aux polices d’assurance en cause.
D’abord, la Cour d’appel indique qu’il est important de rappeler que les polices d’assurance en cause exigent que les réclamations des tiers soient faites et rapportées durant la période de couverture (claims made and reported) et non pas seulement sur la réclamation en tant que telle (claims made).
La Cour d’appel a conclu que non seulement les assureurs n’ont pas émis de limitations ou de réserves lors des renouvellements d’assurances pour les termes postérieurs à 2009–2010 malgré les circonstances et les réclamations déjà rapportées, mais qu’ils ont aussi bonifié par deux fois la protection d’assurance. Avec une modulation de la prime d’assurance, il s’agit là des seules modifications apportées au fil du temps, et ce, malgré le fait que les assureurs étaient pleinement au courant des réclamations déjà formulées et des réclamations potentielles.
Le regroupement des réclamations
Les assureurs prétendent dans un premier temps que les clauses 4.1/4.2 des polices d’assurance permettent de regrouper des réclamations découlant d’un même acte en une seule et même réclamation, argumentant que cette modalité est à l’avantage de l’assurée qui ne paie alors qu’une seule franchise. La Cour d’appel retient toutefois que cette notion de regroupement est incluse dans les définitions applicables à la police d’assurance et que la preuve en l’espèce ne permet pas de conclure à un seul et même acte ayant donné lieu aux réclamations. La Cour retient de plus qu’un tel regroupement est possible, mais seulement à l’égard des réclamations présentées durant une seule et même période de couverture.
L’obligation de déclaration des éléments affectant le risque et les exclusions
Les assureurs ont tenté de faire valoir que les déclarations faites par SNC quant à l’existence possible de nouvelles réclamations constituaient intrinsèquement une exclusion de risque à assurer. La Cour considère que les assureurs confondent les deux types de dénonciations exigées de l’assurée. Dans le contexte de souscription ou de renouvellement d’assurance, l’assurée a l’obligation de dénoncer toute circonstance dont elle a connaissance qui pourrait influencer l’appréciation du risque par les assureurs.
En second lieu, lorsqu’elle est avisée de la survenance du sinistre, ou occurrence, l’assurée doit rapporter celle-ci aux assureurs en prévision de la réclamation qui pourrait en découler. Ces modalités, prévues aux clauses 7.1.1 et 7.1.2 des polices, visent à protéger l’assurée pour des réclamations qui surviendraient après l’expiration de la police, mais qui auraient été déclarées pendant cette même police. L’assurée aurait donc une protection même si l’assureur subséquent écartait une réclamation découlant de tout sinistre déclaré avant l’entrée en vigueur de la nouvelle police. Une telle situation ne s’applique toutefois pas ici puisque les mêmes polices ont été renouvelées sans restrictions ni limitation. Il faut d’autant plus rappeler que la police en cause repose sur la base de la réclamation elle-même et non pas du sinistre à l’origine de cette réclamation.
La Cour d’appel considère que les assureurs font fausse route lorsqu’ils confondent ces deux types de déclarations en une seule aux fins d’application des clauses de la police restreignant son application aux éléments ayant fait l’objet d’une déclaration. Ainsi, la Cour refuse de conclure que les circonstances dénoncées lors de la souscription ou du renouvellement exonèrent les assureurs alors que les clauses 7.1.1 et 7.1.2 visent seulement à les informer des risques pouvant possiblement se matérialiser, mais qui pourrait aussi ne jamais se concrétiser, de manière que les assureurs aient en main toute l’information nécessaire à l’évaluation du risque.
Dans le présent contexte où il est question de polices successives, il ne peut être question de déclaration faite « à un autre assureur » mentionnée à la clause 6.5.2 puisqu’il n’y a pas d’autre assureur, toutes les polices étant souscrites par les mêmes assureurs. En l’absence de clause spécifique excluant la couverture de tout risque dénoncé par l’assurée au moment de la souscription, une telle dénonciation ou connaissance antérieure ne peut pas équivaloir à une telle exclusion.
Enfin, la Cour soulève le fait que ces arguments quant à l’application des polices couvrant uniquement la période 2009–2010 ont été soulevés par les assureurs seulement plusieurs mois après l’introduction des premiers recours judiciaires, alors que ceux-ci connaissaient ces circonstances depuis plusieurs mois. La Cour indique qu’une façon de faire ne constitue pas des agissements en toute bonne foi et que bien que cette tardiveté ne constitue pas une fin de recevoir à ces prétentions, elle en affaiblit la portée et la valeur.
La Cour d’appel rejette donc les prétentions des assureurs quant à l’application unique de la police de 2009–2010 et confirme que les polices de 2010–2011 et 2011–2012 s’appliquent aussi pour les réclamations présentées et déclarées durant cette période.